Critique

Elena

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DRAME | Andreï Zvyagintsev filme le crépuscule d’une certaine idée de l’Homme, dans un film aussi superbe dans la forme qu’implacable sur le fond.

Elena *****, Drame d’Andreï Zvyagintsev. Avec Nadezhda Markina, Andreï Smirnov, Elena Lyadova. 1h49. Sortie: 21/03.

Nous pourrions être chez Bergman, ou plutôt chez un Bergman russe, qui nous fait découvrir le couple formé de Vladimir et d’Elena. Ils ne sont plus jeunes depuis longtemps déjà, mais n’en ont pas pour autant une longue histoire commune, s’étant rencontrés tard dans la vie, alors qu’ils avaient déjà l’un et l’autre un enfant d’une précédente union. Vladimir et Elena sont très différents. Lui est un homme fortuné, a le caractère plutôt dominateur et le coeur proche du portefeuille. Elle est issue d’un milieu modeste, et affiche un comportement docile. Aucun des deux ne vit un rapport facile avec sa descendance. La fille de Vladimir, une jeune femme farouchement indépendante, vivant en marge des conventions, voit peu son père et ne lui manifeste aucun attachement. Le fils d’Elena est un chômeur patenté, incapable de subvenir aux besoins de sa propre famille, et ne cesse de demander à sa mère une aide financière… que celle-ci doit aller mendier chez son mari de moins en moins réceptif à ce type de démarche. Des circonstances particulières vont venir compliquer les choses tant sur le plan des relations affectives que de celui d’un différend matériel porté à incandescence. Et dans un paysage humain aux contrastes de plus en plus accusés, la douce et soumise Elena va peu à peu se révéler différente de ce qu’on pouvait croire…

Au bord de l’abîme

Dans la filmographie d’Andreï Zvyagintsev (lire également page 14), Elena succède à un premier film extraordinaire, Le Retour (les retrouvailles d’un père et de ses fils, sur fond de fusion des violences de la nature et de l’Homme), et un deuxième un peu moins inspiré mais splendide dans la forme, Le Bannissement (récit d’une damnation, sur fond de rapports familiaux, encore). Le nouveau film du cinéaste russe, aussi précis dans ses choix que peu prolifique avec seulement trois longs métrages en neuf ans, marque un sommet dans sa trajectoire mais aussi dans le concert du cinéma international. La force inouïe d’Elena réside tout d’abord dans la radicalité d’un propos s’inscrivant dans la meilleure tradition romanesque ouverte par Dostoïevski, et où s’expriment les tourments d’une âme slave en constant questionnement. Zvyagintsev s’interroge, au bord d’un abîme moral qu’il nous fait contempler sans le moindre fard, sans la plus petite esquive. L’horreur en face. Dans une société russe abandonnée de Dieu comme de Marx, et où aucune limite ne semble plus empêcher l’humain de glisser vers la pire version de lui-même. L’interprétation de Nadezhda Markina dans le rôle titulaire a la juste pesanteur que réclamait le film. Et la réalisation sans faille signe de souveraine manière l’accord du sujet et de sa mise en forme. L’inévitable référence au meilleur Bergman se doublant d’une autre, à Tarkovski bien sûr, par la poétisation d’un réel insupportable. Une stylisation qui élève le regard et donc le spectateur, mais sans sauver ce qui ne peut l’être, dans une humanité se désertant elle-même. Les échos d’un film puissamment chevillé à la réalité russe ne pouvant que se faire universels dans la vision douloureusement lucide d’un artiste ne posant pas de jugement, mais un simple, un terrifiant constat.

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Louis Danvers

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