Laurent Raphaël

Édito: En différé de Cannes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Ne pas être à Cannes n’empêche pas de s’y projeter. Avec un peu d’imagination, le cinéphile compulsif sans le sou ou sans le piston qui lui aurait permis de décrocher l’une des 40.000 accréditations pourrait même se faire son petit festival à lui tout seul. A quoi ressemblerait sa journée type? Peut-être à ceci…

D’abord, il se lèverait très tard puisqu’il aurait dignement fait la dolce vita la veille, dansant une bonne partie de la nuit avec la doublure en carton d’Anita Ekberg, achetée à un producteur à la retraite lors d’un vide-grenier. Certes, le sens de la fête s’est un peu émoussé avec la crise. On n’est plus à la grande époque de Canal + superstar, quand l’empereur Alain De Greef régalait sans compter le petit peuple de la Croisette, mais il reste quelques bouteilles de champagnes millésimés dans le frigo de Thierry Frémaux, l’actuel taulier de la grand-messe du cinéma. Faute de Moët & Chandon, notre festivalier empêché se sera quant à lui rabattu sur un bac de Cara Pils. C’est moins savoureux, plus risqué pour l’estomac, mais le résultat sur le sens de l’orientation et sur la diction est à peu près le même, à une solide migraine près.

Ne pas u0026#xEA;tre u0026#xE0; Cannes n’empu0026#xEA;che pas de s’y projeter.

Pas de temps à perdre en jérémiades de toute façon, car à Cannes, même si on se trouve dans l’oeil du cyclone médiatique pendant quinze jours, dans le brasier de l’info, il n’en faut pas moins chasser en permanence le scoop, avoir ses fiches à jour. Ne pas pouvoir dégainer un avis définitif et tranchant comme la proue d’un yacht sur le film événement de la veille ou sur la tenue de Vanessa Paradis à son arrivée au bras de George Miller ne relève pas de la simple faute de goût mais du crime passible d’excommunication. Or, pour rester au parfum, surtout à 1200 kilomètres de l’épicentre, on n’a encore rien inventé de mieux que la presse.

Côté people, c’est le bouche-à-bouche qui (ré)anime la Toile pour les premiers jours. Binoche qui roule une chaste pelle à Luchini, pareil entre Lafitte et Deneuve à la cérémonie d’ouverture. Aurait-on raté la journée internationale de la bise? Pas encore de sein nu au balcon mais ça ne saurait tarder pour une édition il est vrai placée sous le chiffre 69. En attendant que la température monte sur les marches, ça sent déjà le soufre sur les écrans avec le Rester vertical d’Alain Guiraudie, « étrange trajectoire d’un scénariste vagabond entre paternité expérimentale et sexualité cosmique« , dixit Libé. Pas de quoi rameuter les ligues de vertu mais quand même quelques scènes de sexe bien crues. Un scandaleke à l’échelle cannoise. Il est vrai que Lars von Trier a été sagement laissé à la maison, que Maurice Pialat n’est plus là pour dire ses quatre vérités aux grincheux. Mais même sans les gaffeurs et les grandes gueules, et sans Gaspar Noé, gageons qu’un scandale finira bien par éclater. Si ça tombe, c’est à mille lieues du Palais que quelqu’un allumera la mèche. Et pourquoi pas le fils de Woody Allen, Ronan Farrow, avec cette chronique parricide critiquant vertement la presse qui cire les pompes de Monsieur Manhattan plutôt que de lui demander de s’expliquer sur le viol dont l’accuse la fille adoptive de son ex, Mia Farrow.

A midi, en hommage à cette Grande bouffe de Ferreri qui était restée sur l’estomac des bienpensants, notre homme aura prévu une choucroute suivie d’un cassoulet, histoire de se caler aussi pour une après-midi qui s’annonce chargée. Au programme: un marathon de films bien sûr. Là encore, avec un peu d’ingéniosité, il pourra être de la fête sans y être vraiment. En se faisant toute la sélection officielle de l’année passée. Rien que pour Carol de Todd Hayes, ça vaut le coup. Ou en se repassant les meilleurs films des réalisateurs poids lourds en compétition cette année. Jarmusch, les frères, Verhoeven, Loach… Y a pire comme casting.

Enfin, après l’indispensable séance de minuit, un regard de zombie accroché sur le visage, le courageux soldat du 7e art descendra s’acheter un kebab rue du Midi avant d’emmener Kristen Stewart au bal. Car s’il était Jesse Eisenberg dans Café Society, pour sûr, il ne l’aurait pas laissée s’échapper…

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