Du cinéma muet à Nymphomaniac, une histoire de sexe

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Des films muets coquins à Nymphomaniac de Lars Von Trier, le sexe (réel) à l’écran s’est de plus en plus dévoilé malgré les censures.

Pour certains allumés du turban, il est l’instrument du Diable, et doit être totalement interdit. D’autres, à peine moins excités, dénoncent son influence néfaste sur une jeunesse qu’il faut préserver en maniant sans ménagement la censure. Le cinéma -car c’est bien de lui qu’il s’agit- ne dérange généralement pas tant les défenseurs de la morale (divine ou pas) dans sa si fréquente dimension violente que quand il se pique d’aborder la thématique du sexe. Et surtout sa représentation, encore traquée dans une majorité de pays du monde à coups d’interdictions de sortie, de coupes obligées, voire comme au Japon de caches dérobant au regard l’horreur ultime pour les censeurs locaux: les poils!

Alors que le présumé très (mais alors très) sulfureux Nymphomaniac de Lars von Trier s’apprête à faire l’événement du début 2014, il peut être amusant de revenir sur la petite histoire des rapports entre sexe et cinéma. Non pas dans le domaine réservé du franc porno plus ou moins ghettoïsé, diffusé sous le manteau puis dans un circuit spécialisé (sur Internet surtout, aujourd’hui) mais bien et de manière plus intéressante dans la production commerciale « mainstream » et dans l' »art et essai », bref dans le cinéma destiné à un public non spécialisé, ne pratiquant en salle qu’une masturbation prudemment intellectuelle…

Des ouvriers sortant d’une usine, un train entrant dans une gare, voire une fusée percutant l’oeil de la Lune. Tout cela était fort plaisant. Mais très vite vint l’idée que cette nouvelle invention, le cinématographe, pourrait aussi offrir des visions érotiques. Et dès la période du « muet », il s’employa discrètement à le faire. De petits films égrillards furent vite ajoutés aux fastes des meilleures maisons closes, annonçant de très loin l’émergence du film X dans les années 70. Hors du porno, vamps et autres séductrices firent rapidement craquer les spectateurs, et Hollywood se fit leste, accueillant par exemple les délires fétichistes d’un Erich von Stroheim défiant la censure comme personne en son temps. Pour endiguer la progression d’Eros, Hollywood imagina le code Hays. Etabli au tournant des années 30 et appliqué par l’industrie américaine du film jusqu’en 1964, cet ensemble de règles d’inspiration morale put retarder l’inévitable, mais pas l’empêcher, à l’heure où d’autres cinématographies, la scandinave en particulier, se privaient de moins en moins d’aborder l’amour sous ses aspects les plus directement physiques.

Sus aux tabous!

Les années 70 allaient voir le 7e art accompagner l’évolution des moeurs dans sa libéralisation, singulièrement en Europe avec le phénomène Emmanuelle (1974), réédité aujourd’hui en coffret, mais aussi au Japon avec la nouvelle vague de réalisateurs faisant rimer subversion politique et audace en matière d’érotisme.

L'Empire des Sens
L’Empire des Sens© DR

Nagisa Oshima poussa les choses le plus loin avec l’éminemment transgressif L’Empire des sens (1976). En regard de ce chef-d’oeuvre radical, le choc d’Emmanuelle, adaptation à succès du roman d’Emmanuelle Arsan avec Sylvia Kristel en héroïne expérimentant la sexualité sous plusieurs angles particuliers, paraissait bien peu osé. Inspiré par un fait divers réel, Oshima narrait l’amour fou de deux amants poussant la course au plaisir jusqu’aux parages de Thanatos. Dans cet authentique défi lancé aux censeurs (avec à la clé maintes interdictions, et des poursuites judiciaires en Belgique notamment), le génial cinéaste nippon présentait des scènes de sexe explicites et non simulées! Cette question du sexe réel à l’écran n’avait pas attendu L’Empire des sens pour se poser, mais n’avait jamais reçu de réponse plus éloquente. D’abord et surtout parce que les cinéastes concernés l’avaient généralement imposé « en douce », sans le crier sur tous les toits. Ainsi de Melvin Van Peebles, réalisateur et acteur du film porte-drapeau de la « blaxploitation » Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971), qui avoua même plus tard avoir chopé une maladie sexuellement transmissible durant le tournage…

Pink Flamingos
Pink Flamingos© DR

John Waters faisant office de précurseur en filmant une fellation homosexuelle (prodiguée par l’acteur travesti Divine) dans Pink Flamingos, réalisé l’année suivante. Les raideurs de la censure étant appelées à céder la place à celles d’organes masculins fièrement dressés et caressés comme ceux de Vincent Gallo dans The Brown Bunny… dans la bouche de Chloë Sevigny, ou ceux de Sagamore Stévenin (ou de sa doublure) dans Romance… et dans la bouche de Caroline Ducey. Laquelle prodiguant par ailleurs d’autres formes de gâterie à l’outil de travail du hardeux Rocco Siffredi dans le même film de Catherine Breillat. En prenant pour interprète un cador du X, et en affichant sans complexe un érotisme frontal, non simulé, la réalisatrice française confirmait en 1999 un goût du dépassement des normes que dès 1975, dans Une vraie jeune fille, elle manifestait déjà par une scène d’éjaculation masculine et une autre de masturbation féminine…

Avec le plus trash mais tout aussi interpellant Baise-moi (2000) de Virginie Despentes et Caroline Trinh Thi, Romance démontre qu’en France, la radicalité sexuelle au cinéma se conjugue le mieux au féminin. Ailleurs en Europe, et hormis le Michael Winterbottom de 9 Songs, Lars von Trier est le seul réalisateur mâle à exposer pareille audace, du sexe en groupe d’Idioten (1998) à la scène de masturbation réciproque d’Antichrist (2009). On attend désormais son Nymphomaniac où Charlotte Gainsbourg et Shia LaBeouf se seraient, dit-on, offerts pleinement à la caméra du remuant Danois…

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Nymphomaniac Official Trailer from Zentropa on Vimeo.

Louis Danvers

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