Dessins de femmes: « L’industrie de l’animation est en pleine métamorphose »

Les Indestructibles 2 © Disney/Pixar

Parvana et Les Indestructibles 2 entérinent une représentation moins archaïque de la femme dans l’animation. Etat des lieux.

D’aucuns disent qu’en primant Parvana (disponible sur Netflix), quotidien d’une adolescente sous le joug taliban, ou Funan (sortie en mars 2019), portrait d’une Cambodgienne tyrannisée par les Khmers rouges, le Festival du film d’animation d’Annecy, en juin dernier, a surfé sur la vague féministe qui déferle dans le monde depuis l’affaire Weinstein. Constatation erronée. La manifestation, rendez-vous annuel de tous les professionnels de la planète, a juste récolté les fruits d’une mutation amorcée dans le secteur il y a belle lurette. Et si certains stéréotypes résistent, les représentations de la femme dans les dessins animés sont plus variées et moins sexistes qu’avant. En coulisses, les machos passent peu à peu la main et les dames prennent lentement mais sûrement les commandes.

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Certes, seuls deux longs-métrages sur dix à Annecy étaient signés par des réalisatrices, mais la parité est assurée dans un proche avenir. D’abord parce qu’une charte a été signée sur place par les organisateurs avec le collectif 5050 pour 2020 – la même que celle approuvée en mai dernier par le Festival de Cannes. Ensuite et surtout parce que les écoles de graphisme, qu’elles se trouvent en France, aux Etats-Unis ou au Japon, comptent environ 60% d’étudiantes. En Belgique, selon les établissements et les niveaux le pourcentage oscille entre 33% et 65%. Et ce sont précisément ces jeunes pousses qui débarqueront dans les studios pour redéfinir un trait jusqu’ici plus proche des fantasmes masculins que d’une réalité sociétale. En attendant, les scénaristes des deux sexes prennent les devants. Le pitch des Indestructibles 2 (en salles) énoncé par Pixar résume à lui seul cette (r)évolution: « Bob (monsieur Indestructible) a la garde des enfants tandis qu’Helen (madame Indestructible) sauve le monde. » Un peu comme si Aurore s’était détournée de sa quenouille pour aller combattre le dragon, laissant sa place dans le lit au prince Philippe… « Quand on s’est lancé dans ce projet, en 2015, on ne se doutait pas qu’on serait autant raccord avec l’actualité, s’enthousiasme Nicole Paradis Grindle, productrice des Indestructibles 2. Mais il n’y a pas de discours féministe prémédité. Brad (NDLR: Bird, le réalisateur) avait envie, depuis la sortie du premier volet en 2004, de mettre en avant cette maman doublée d’une super-héroïne. » Un heureux hasard, alors? La preuve d’une réelle évolution, plutôt. Si Blanche-Neige revenait aujourd’hui, elle ne passerait sûrement pas le balai et obligerait les nains à faire la vaisselle. Le temps des péronnelles tout juste bonnes à attendre qu’un homme les sauve (et les épouse) est révolu. Le Japonais Hayao Miyazaki est l’un des premiers à l’avoir compris. En 1984, il signe Nausicaä de la vallée du vent, dont le personnage principal est une princesse combattante, débrouillarde et indépendante. Lui succéderont Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Kiki la petite sorcière… Autant de jeunes femmes ou de petites filles qui « auront peut-être besoin d’un ami ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur, déclarait le réalisateur il y a trois ans dans le quotidien britannique The Guardian. Les femmes sont capables d’être de vrais héros, tout autant que les hommes. »

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Des canons de beauté

Plus personne n’en doute. Surtout depuis que la maison Disney, dont l’influence sur les fillettes du monde entier n’est plus à démontrer, a suivi la voie progressiste de l’artiste nippon en s’appropriant, en 1998, la légende de Mulan, guerrière déguisée en homme afin de remplacer son père sur le champ de bataille. Puis il y eut Mérida, dans Rebelle, qui préfère tenir un arc que la main d’un garçon. Et bien sûr Elsa, Reine des neiges, que ses pouvoirs magiques condamnent au célibat, soutenue par sa soeur Elsa, qui s’entiche (pas longtemps) d’un prince pas du tout charmant. « Depuis quelques années, on veut des femmes fortes, voire va-t-en-guerre, constate Denis Do, metteur en scène français de Funan. Est-ce une bonne chose? Je ne pense pas, car cela consiste à calquer un patriarcat sur le modèle féminin. » Il n’a pas tort, mais il faut de tout pour divertir. Et quand il s’agit de raconter le monde, on revient à des personnages plus proches de la réalité, comme Parvana, Afghane de 11 ans qui n’a rien d’autre que son courage et son audace pour résister aux Talibans. « En tant que mère, j’ai toujours voulu raconter des histoires constructives, explique la réalisatrice irlandaise Nora Twomey. Parvana n’a pas la force physique suffisante pour se battre, mais elle cogite en permanence, pèse sans cesse le pour et le contre. Sa magie, c’est son imaginaire, qui me permet de glisser dans le film une part de conte. Mais il n’était pas question d’adoucir la réalité. Afin que le public puisse s’identifier, Parvana devait avoir des armes que chacun peut avoir, à commencer par l’intelligence. «  L’identification… Parlons en justement. Elle passe par la psychologie, qui donc est débarrassée des clichés rétrogrades, mais aussi par l’apparence physique, et là, attachez les ceintures des enfants car, à de rares exceptions près, c’est l’autoroute des archétypes! Autant les héros sont toujours dessinés avec un nez prononcé ici, un embonpoint là, autant leurs alter ego féminins ont quasi systématiquement une taille de guêpe et un visage satiné. « On est loin de Jessica Rabbit, dont la plastique est aujourd’hui anachronique, voire embarrassante, mais les héroïnes restent obligatoirement belles, reconnaît Nicole Paradis Grindle. Combien de fois ai-je eu cette conversation avec les dirigeants de Pixar! Leur mot d’ordre lancé aux graphistes, c’est: « Attirante! Attirante! » Tout détail disgracieux est banni. C’est assez frustrant. Mais on y viendra, vous verrez. Disons que c’est la prochaine étape. » Pour preuve du progrès en marche, le postérieur de madame Indestructible est assez proéminent… De même que la Tahitienne Vaïana n’a pas le mollet très fin. Mais chassez la perfection, elle revient au galop, même chez les plus radicaux. « C’est comme dans le cinéma live, relève Denis Do. On prend des canons de beauté, agrégats de ce que véhicule la société, de peur de ne pas attirer le public si on sort de ces codes qui définissent la grâce. Funan raconte l’histoire de ma mère, mais j’ai pris des libertés pour la représenter. Je voulais qu’elle ait un look qui rappelle les apsaras, ces magnifiques divinités hindoues aux seins nus, voluptueuses et sensuelles. Mais cela me permettait de créer un contraste dans une deuxième partie du film, quand elle souffre et qu’on la voit amaigrie, le visage creusé… »

BLANCHE NEIGE ET LES SEPT NAINS
BLANCHE NEIGE ET LES SEPT NAINS© PROD DB/WALT DISNEY

Une liberté très difficile à obtenir dans une major américaine. On se souvient de Brenda Chapman, à qui Pixar imposa un coréalisateur pour diriger Rebelle afin de calmer son effronterie. « Ils trouvaient par exemple que la mère de l’héroïne était trop grosse, ses fesses surtout, se plaignait-elle dans le magazine Time. Alors que je voulais justement qu’elle ressemble à la plupart des femmes un peu mûres. » Tout espoir n’est pas perdu. Au contraire. Dans Bao, court-métrage présenté en avant-programme des Indestructibles 2, une maman toute en rondeurs et voûtée par le poids du quotidien occupe l’écran du début à la fin. « Je voulais que cette mère soit celle des spectateurs, pas un fantasme, confie la réalisatrice, Domee Shi, nouvelle recrue de Pixar. L’animation changera les mentalités en montrant des personnages au physique normal. Et le fait qu’il y ait de plus en plus de femmes aux postes à responsabilités y contribuera. Je vous assure que l’industrie est en pleine métamorphose. » Et les héroïnes aussi. On a hâte de voir.

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Harcèlement sexuel: l’animation aussi!

Le 21 novembre 2017, coup de tonnerre chez Pixar: John Lasseter présente ses excuses dans un communiqué à « quiconque a déjà reçu (de sa part) une étreinte non consentie ou tout autre geste qui a franchi les limites ». Dans le Hollywood Reporter, bible des professionnels, plusieurs sources accusent le cofondateur du studio racheté par Disney de harcèlement sexuel. Le 8 juin dernier, Lasseter annonçait qu’il quitterait le groupe le 31 décembre. Un départ qui ressemble fort à un limogeage en douceur. « Le problème n’existe pas que chez Pixar, déclarait Corinne Kouper, présidente de l’association Les Femmes s’animent. En France, 6.000 personnes, dont 700 en CDI, travaillent dans l’animation, souvent dans de petites structures. Beaucoup ont peur d’être blacklistées. » La chute de Lasseter devrait les rassurer: si aucune femme n’est à l’abri d’un harceleur, aucun harceleur n’est à l’abri de poursuites judiciaires.

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