Laurent Raphaël

Dans le sens du poil

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Interrogée dimanche dernier dans le JT de 20h de France 2 sur ce qu’elle avait ressenti en recevant son premier César à 15 ans pour A nos amours de Pialat, Sandrine Bonnaire avouait qu’elle n’avait que peu de souvenirs, à part la présence de Charles Bronson au premier rang, reconnu grâce à sa moustache. Attribut masculin par excellence (encore que…), le supplément pileux sublabial est un marqueur identitaire aussi voyant et reconnaissable qu’une balafre sur la joue.

L’édito de Laurent Raphaël

Lâchez le mot « moustache » dans la nature et tout de suite affluent à l’esprit quelques fameux spécimens, d’Einstein à José Bové en passant par Magnum, Mario Bros, Dupond et Dupont, Santana ou Dali. Jusqu’au début du XXe siècle, un homme respectable ne sortait pas sans. La jeunesse rebelle des années 50 l’a envoyé balader, en même temps que les codes vestimentaires et les moeurs compassés des parents. Elle a trouvé refuge en territoire ami, s’accrochant comme une moule sur son rocher aux lèvres des policiers, des Indiens, des Pakistanais et des dictateurs du Proche et Moyen-Orient. Il y a quelques années, en pleine fièvre vintage, elle a fait un retour en force à l’Ouest sur les peaux douces des hipsters de Brooklyn et de San Francisco. Avec une préférence pour la version minimaliste, façon Brigades du tigre ou Clark Gable.

Le propre de la mode étant de se démoder, elle a vite été effacée de l’arsenal fashion. Pas pour longtemps cependant. Elle bénéficie aujourd’hui d’une nouvelle visibilité inattendue. C’est moins sa déclinaison fluette que le bon gros paillasson qui faisait fureur dans les années 70, et dont Derrick ou Sydney Lumet époque Serpico ont été les receleurs, qui signe ce come-back. Si ce n’est pas (encore) flagrant dans la rue, ça l’est du moins au cinéma où deux films américains la mettent à l’honneur: Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée, et Her, le nouveau Spike Jonze.

Redneck homophobe et antipathique, Ron Woodroof (Matthew McConaughey, qui d’autre?) organise des paris bidons dans le milieu du rodéo entre deux coups de reins tarifés. Jusqu’au jour où il apprend (ça se passe en 1985) qu’il a le sida, la maladie des « tapettes ». Dans ce Texas peuplé de cowboys, l’ornementation pileuse est comme les santiags et le Stetson, elle fait partie du décor. Et ne quitte jamais son propriétaire. Sorti de l’ornière des niaiseries grâce à William Friedkin et son mémorable Killer Joe, l’acteur à la moustache fraîchement oscarisée est d’ailleurs un récidiviste. En 1993, dans Dazed & Confused de Richard Linklater, il portait déjà une carpette blonde sous les narines. En 2012, pour le clip du morceau Synthesizers de Butch Walker & The Black Widows, il rejoue d’ailleurs une des scènes cultes du film où transpire déjà un charisme bestial qui mettra du temps à percer et qui s’impose désormais comme une évidence.

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Le cinu0026#xE9;ma n’en finit pas de se friser la moustache. N’est-ce pas, Matthew McConaughey?

Si on a beaucoup parlé de la performance physique (comme Jared Leto, McConaughey n’a plus que la peau sur les os), Ron n’aurait pas la même dégaine sans cet accessoire qui renforce son air louche et malsain en même temps qu’il masque ses intentions et ses émotions. Car c’est l’une des caractéristiques de la moustache, elle agit comme un masque miniature. On ne peut pas la rater mais on a du mal à dire ce qui se cache derrière.

Rien de pervers chez l’autre moustachu du moment: Joaquin Phoenix, affublé d’un modèle RDA dans le nouveau et très attendu Spike Jonze, Her. Dans ce mélodrame futuriste, il incarne un cyber écrivain en mal d’affection qui tombe amoureux d’une voix artificielle. La touffe de poils peaufine un look de « blaireau » qui sert à accentuer encore son isolement, sa solitude dans cet univers de modernité urbaine high-tech. Elle aurait du coup presque une vocation romantique ici.

Même quand on croit qu’elle a disparu, elle est encore là. Comme en 2005 dans La Moustache, le film, dans lequel Vincent Lindon la rasait et personne ne semblait remarquer le changement, à son grand désarroi. Décidément, le cinéma n’en a pas fini de se la friser…

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