Critique

[Critique ciné] The House That Jack Built, Von Trier au bout de ses obsessions

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME | Le cinéma de Lars Von Trier a rarement laissé indifférent, et ce n’est pas The House That Jack Built qui va changer quoi que ce soit à l’affaire.

[Critique ciné] The House That Jack Built, Von Trier au bout de ses obsessions

Démonstration en mai dernier au festival de Cannes où, présenté hors compétition en signe du retour en grâce d’un réalisateur banni de la manifestation quelques années plus tôt, le film avait suscité des réactions extrêmes. Adoptant un dispositif voisin de celui de Nymphomaniac, le cinéaste danois s’y attelle à l’autoportrait, sordide autant que minutieux, de Jack (Matt Dillon, prodigieux), un tueur en série se piquant d’architecture, et assimilant son entreprise criminelle -il totalise une soixantaine de victimes, des femmes dans leur grande majorité, encore qu’il n’ait pas d’exclusive- à quelque oeuvre d’art ultime.

Disposition que l’on découvre alors qu’il s’en ouvre à un interlocuteur longtemps invisible (Bruno Ganz), à qui il expose par le menu son modus operandi, cinq incidents emblématiques s’étalant sur douze ans à l’appui. Le premier nous conduit sur une route enneigée, où une automobiliste (Uma Thurman) se débat avec un cric récalcitrant. Elle est totalement cruche, et franchement insupportable, Jack veillera à y remédier définitivement, entamant là une longue litanie de meurtres rythmés par Glenn Gould mais aussi le Fame de David Bowie, et qu’il assortit de commentaires gonflés et autres digressions érudites, tandis qu’il dispose méthodiquement les cadavres aux côtés de boîtes de pizzas dans un vaste frigo. L’humour noir règne ici sans partage, comme la suite en attestera, pour culminer dans la scène ahurissante où le tueur, autoproclamé « Mr. Sophistication », transforme un pique-nique familial en partie de chasse au son de Vivaldi… Pour autant, The House That Jack Built n’est pas qu’une pochade d’un goût douteux. Le film, s’il constitue une plongée sans filet dans un cerveau malade, s’aventure aussi, par extension, dans celui de l’artiste (maudit) -citant joliment le Don’t Look Back, de D.A. Pennebaker alors que le tueur égrène divers traits saillants de sa personnalité, narcissisme, égotisme et autres.

Au bout de ses obsessions

L’horizon est tourmenté, cela va sans dire, Von Trier allant ici au bout de ses obsessions, dans une oeuvre tenant tout autant de la réflexion inspirée que de la mystification, de l’acte de contrition que de la provocation -ainsi, lorsqu’il convoque Albert Speer et le souvenir de l’Allemagne nazie, manière d’assumer sans doute, en quelque pied-de-nez à ses détracteurs, tous les maux dont on a pu le charger. De Mal, il est du reste beaucoup question; de beauté absolue, aussi, le réalisateur convoquant un chapelet d’oeuvres et ne manquant d’ailleurs pas de pratiquer l’autocitation, de Breaking the Waves à Melancholia, tandis que la geste du tueur nourrit un questionnement sur l’acte créatif. C’est assurément dérangeant et passablement délirant. Mais The House That Jack Built est surtout un film foisonnant et passionnant, immersion dans l’horreur qui aurait pu s’avérer fastidieuse et vainement complaisante s’il n’y avait encore la virtuosité de sa mise en scène (culminant dans un final stupéfiant), de même qu’un sens de l’humour et de l’ironie rarement pris en défaut, jusqu’au générique ponctuant l’affaire sur les accords de… Hit the Road Jack.

De Lars Von Trier. Avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman. 2h35. Sortie: 17/10. ****

>> Lire également notre interview de Matt Dillon.

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