Critique

[Critique ciné] Santiago, Italia: passé présent

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DOCUMENTAIRE | Nanni Moretti revient dans un documentaire éclairant sur le coup d’État chilien de septembre 1973 et le rôle joué par l’Italie dans l’accueil de réfugiés.

« Le film qui repousse les frontières », annonce l’affiche de Santiago, Italia. Et il y a de cela, en effet, dans cette incursion en terrain documentaire de Nanni Moretti. À quoi l’on pourrait ajouter que son nouvel opus a aussi le don de compresser le temps, le réalisateur de Mia Madre y arpentant le passé pour mieux parler du présent. Au coeur du propos, le coup d’État militaire qui devait frapper le Chili le 11 septembre 1973, renversant le gouvernement du président socialiste démocratiquement élu Salvador Allende, pour porter au pouvoir le général Pinochet et placer le pays sous le joug de la dictature militaire. Les événements ont été abondamment documentés, et évoqués à diverses reprises par des cinéastes (dont certains, comme Patricio Guzmán, figurent ici au nombre des témoins). Moretti les aborde toutefois sous un angle inédit, puisqu’il revient sur un épisode largement méconnu: l’accueil systématique, au sein de l’ambassade d’Italie de Santiago, de centaines de demandeurs d’asile, qui allaient ensuite trouver refuge sur le sol transalpin.

[Critique ciné] Santiago, Italia: passé présent

Pas impartial

Embrassant les événements d’alors d’un regard rétrospectif, Nanni Moretti préfère aux images d’archives, peu nombreuses mais éminemment parlantes comme celles de l’attaque du palais de la Moneda, les témoignages de ceux qui étaient aux premières loges. Avocats, cinéastes, ouvriers, médecins, traducteurs, diplomates et même militaires ayant participé aux exactions de la junte…: ils sont nombreux à se succéder devant sa caméra, suivant un dispositif minimaliste où la parole se fait porteuse d’émotion. Et cela, qu’il s’agisse d’évoquer l’élan qui avait porté Allende au pouvoir – « une période inoubliable »– ou la tragédie à suivre, les exécutions, les déchirements et la torture, contexte où naîtra l’initiative italienne, à l’origine du sauvetage de nombreuses vies. « Nous avons toujours dit que nous sommes riches parce que nous avons deux identités nationales, souligne l’une des intervenantes. Moi, je suis chilienne de naissance avec un pays qui s’est comporté avec moi comme un père. Le Chili a été un père méchant pour moi. Et l’Italie a été une mère généreuse et solidaire. » Moretti, lui, se garde pour l’essentiel d’interférer. À un militaire tortionnaire tentant de justifier l’innommable, et l’invitant à ne pas porter de jugement, il réplique toutefois, piqué au vif: « Je ne suis pas impartial. » Il précisera, dans un entretien à La Repubblica: « Je ne suis pas impartial sur le coup d’État et ne peux pas l’être aujourd’hui. » Entamé pour parler du Chili d’autrefois, Santiago, Italia finit en effet par parler de l’Italie au présent, celle de Matteo Salvini et du repli sur soi, à laquelle il tend un miroir réfléchissant, trouvant là une puissante résonance, lardée de mélancolie…

De Nanni Moretti. Avec les témoignages de Patricio Guzmán, Piero De Masi, Rodrigo Vergara… 1h20. Sortie: 24/04. ****

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