Critique

Critique ciné: Nymphomaniac – Volume 1

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Moins transgressif qu’attendu, et inégal en diable, ce portrait féminin ambigu cherche son point de vue.

Drame. De Lars von Trier. Avec Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Stacy Martin. 1h40. Sortie: 01/01.

Cela commence, d’assez superbe et fascinante façon, comme un film japonais des années 50. Une série de plans savamment composés, vides de toute présence humaine, posent le décor d’un dédale de ruelles et d’une arrière-cour désolées, humides. Et puis apparaît, fractionnée, l’image d’un corps féminin allongé, du sang sur le visage. Comment celle qui se présente comme « Joe » est-elle arrivée là, elle ne le dira pas immédiatement à Seligman, l’homme qui la trouve et qui la recueille chez lui. Joe ne veut ni ambulance, ni police, ni même la compassion du bon samaritain auquel elle va faire le récit de son existence. Une forme de confession, même si son hôte n’a rien d’un prêtre. Un mea culpa, car celle qui déclare souffrir de nymphomanie depuis sa plus tendre enfance s’accuse très vite d’être une femme « mauvaise ». Son interlocuteur, attentif et généreux, tentera de la détourner de son discours auto-accusateur. Mais rien n’y fera, tandis que se succèdent les souvenirs autobiographiques marqués du sceau de l’obsession sexuelle…

Emois, et moi et moi

Charlotte Gainsbourg est Joe, Stellan Skarsgard est Seligman. Stacy Martin, top model de 22 ans dont c’est le premier rôle au cinéma, jouant Joe adolescente. Elle semble un peu perdue dans une suite d’épisodes où la chair, si elle est abondante, est aussi le plus souvent fort triste. Misogyne ou pas, Lars von Trier adopte en tout cas une vision essentiellement masculine et en définitive assez conservatrice, où la femme désirante est forcément destinée à se sentir coupable, repentante de ce pouvoir qu’elle s’est découvert sur le sexe opposé… Le désir comme malédiction, le plaisir comme déception permanente, tel semble être le programme d’un cinéaste dont le point de vue évoluera peut-être au fil de la seconde partie du film, prévue pour la fin du mois. Et qui sait possiblement encore dans la version longue et non-expurgée (1) qu’on nous annonce pour plus tard dans l’année. Entre exposé clinique, étude de moeurs et conte moral, le visuellement intéressant Nymphomaniac – Volume 1 peine à nous dire quelque chose de vraiment intéressant. Nagisa Oshima, dans son génial et autrement transgressif L’Empire des sens de 1976, célébrait le plaisir féminin tout en avouant ne pas le comprendre dans son étrangeté impartageable et immaîtrisable par un homme, fusse-t-il artiste et féministe comme lui-même. Lars von Trier n’a pas, dans son nébuleux propos, cette lucide et salvatrice modestie…

(1) 5h30 au lieu des 4h de la version commerciale, et avec un montage de von Trier, façon director’s cut…

Louis Danvers

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