[Critique ciné] Été 93, capture l’essence indéfinie de l’enfance nue

Été 93 © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

L’Espagnole Carla Simón plonge dans les heures sombres de son vécu intime pour donner corps à son premier long métrage, portrait pudique et épuré d’une petite citadine frappée par le deuil amorçant un nouveau départ à la campagne.

« Mes souvenirs, mon imaginaire, les anecdotes qu’on m’a rapportées… Tout cela s’est mélangé dans mon esprit comme dans un conte quand j’ai commencé à écrire le scénario d’Été 93. » Soit la chronique d’un été à hauteur d’enfant blessée: suite à la mort de ses parents, Frida, six ans, quitte Barcelone pour aller vivre chez son oncle, sa tante et leur petite fille de trois ans à la campagne. Un récit d’apprentissage tendant vers l’épure largement nourri d’éléments autobiographiques. « J’ai grandi dans le petit village que l’on voit dans le film, dans les montagnes catalanes, puis je suis allée étudier à Barcelone, raconte Carla Simón alors qu’on la retrouve sur la terrasse du pavillon catalan dans le Village International du dernier festival de Cannes. À l’origine, je voulais être journaliste. Essentiellement parce que j’adorais l’idée de voyager (sourire). Puis je me suis intéressée au cinéma. Je n’avais pas les moyens pour une école spécialisée donc j’ai suivi des cours de communication. J’ai eu la chance de pouvoir faire un échange en Californie et j’ai pris des cours d’écriture de scénario là-bas. En rentrant, j’ai demandé une bourse pour aller à la London Film School. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait que je commence en parlant de ce que je connais, en repartant de mes racines. Il y a quelque chose de très romantique dans l’idée de raconter sa propre enfance. Il était important pour moi de conserver le contexte qui m’a vue grandir. J’avais six ans en 1993 et mes parents sont tous les deux morts du sida cette année-là. »

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En résulte aujourd’hui une oeuvre très impressionniste, qui s’éloigne des schémas de narration classiques pour privilégier une expérience plus organique, voire sensorielle. « De cette époque, je me souviens moins de faits précis que des émotions qui m’habitaient« , prolonge la jeune réalisatrice, qui se réclame aussi bien du Ponette de Jacques Doillon que du cinéma de Lucrecia Martel. Son film, prix du meilleur premier long métrage à la dernière Berlinale, excelle en tout cas à capturer l’essence indéfinie de l’enfance nue. Un objet modeste, fragile même, qui prend son temps et, mieux, redonne tout son sens à la notion de temps qui passe -celui de la projection, celui de la vie-, où Carla Simón est plutôt du genre avare en explications. « C’est, je l’espère, à l’image de l’existence: on ne passe pas son temps à faire des discours à propos de la manière dont on se sent. De l’écriture au montage, j’ai toujours veillé à enlever ce qui était trop explicite: si le spectateur peut comprendre sans entendre ou voir telle chose, alors je l’enlève. Il était vraiment important pour moi que le mot « sida » ne soit jamais prononcé par exemple. Aussi, tout simplement, parce que c’est quelque chose que Frida ne connaît pas et que le film tente de s’approcher de sa perception des choses. Je n’ai appris qu’à douze ans les raisons de la mort de mes parents. J’ai alors pu grandir en observant le schisme qui existait entre les gens de la génération de mes grands-parents, catholiques et conservateurs, et ceux de la génération de mes parents qui, après la mort de Franco, ont développé des idées très à gauche et un mode de vie hippie tournant le dos à la religion. Mes parents ont connu cette période de transition très libre consécutive à la chute du franquisme où les drogues étaient très présentes en Espagne. Le gouvernement était un peu dépassé et personne n’a mesuré à l’époque les dangers de la manière dont elles étaient consommées. Beaucoup de personnes sont mortes du sida dans les années qui ont suivi. »

Besoin d’amour

Naturaliste, le film est aussi particulièrement pudique, déjouant le piège du pathos, de l’excès de sentimentalité, tout en évitant soigneusement le cliché du mignon, de la belle petite fille parfaite. « Il est essentiel quand vous choisissez quelqu’un pour un rôle que vous ressentiez le désir de le filmer. Physiquement. Que vous ayez envie de scruter constamment son visage pour tenter de comprendre ce qui vous fascine en lui. C’est ce que j’ai ressenti avec Laia, qui joue Frida. J’ai rencontré plus de 1 000 candidates pour ce rôle. Il fallait une enfant dont l’histoire était proche de celle du personnage du film: quelqu’un de la ville, venant d’une structure familiale non-conventionnelle, avec du caractère. Pour qu’elle n’ait pas à inventer un personnage de toutes pièces. Pendant deux mois, j’ai réuni les enfants et les adultes du film tous les week-ends en journée, sans rien tourner. L’idée c’était de passer du temps ensemble, de mettre en place des automatismes. Je leur demandais de se comporter comme une véritable petite famille, en se promenant, en allant faire des courses, en préparant le repas. Comme ça ils partageaient déjà une pré-histoire, un terreau commun. Les acteurs n’ont pas eu accès au scénario. Sur le tournage, je leur donnais beaucoup d’indications pendant les prises afin de les guider vers ce qui était écrit. À d’autres moments, je privilégiais la liberté en ne leur donnant que les prémices d’une scène, puis je les laissais improviser. C’est le cas notamment dans certaines séquences de jeu avec les enfants. »

[Critique ciné] Été 93, capture l'essence indéfinie de l'enfance nue

En tentant de traduire au mieux le trouble et le besoin d’amour qui habitent Frida, le film parvient incidemment à illustrer à quel point les enfants peuvent appréhender, sans forcément pouvoir les nommer, des choses très complexes de la vie. « Il est évident que Frida comprend les enjeux de ce qui est en train de se passer, et qu’elle possède en elle cette capacité à prendre un nouveau départ. Mais elle n’en est pas moins confuse émotionnellement. Elle a besoin d’amour, mais elle a aussi besoin de trouver le moyen d’exprimer ce qu’elle ressent. D’où l’ultime scène du film qui, selon moi, est à envisager comme un dénouement heureux. »

Été 93. De Carla Simón. Avec Laia Artigas, Paula Robles, Bruna Cusí. 1 h 34. Sortie: 19/07.

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