Critique

Critique ciné: Die Frau des Polizisten, puzzle en 59 pièces

Die Frau des Polizisten © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Philip Gröning dissèque la violence domestique en passant au scalpel la relation destructrice s’installant au sein d’un couple dans les 59 tableaux d’un film à l’impact et à l’esthétique saisissants.

Cinéaste radical, l’Allemand Philip Gröning s’était fait connaître il y a quelques années avec Die Grosse Stille, fascinant documentaire sans paroles sur les moines de la Grande Chartreuse. Revenant aujourd’hui à la fiction, il applique à Die Frau des Polizisten un traitement non moins original, décortiquant le quotidien d’une famille de la classe moyenne -un policier, sa femme et leur fillette- sur près de trois heures; une entreprise qu’il divise en 59 chapitres, comme les pièces d’un puzzle ou les stations d’un chemin de croix. L’effet produit est rien moins que saisissant, le découpage commençant par intriguer, avant que la litanie des fondus au noir ouvrant et refermant chaque vignette, et barrés de la mention « Anfang Kapitel… », « Ende Kapitel… », déclinée ad libitum, n’engendre un troublant effet de distanciation. Et le spectateur d’observer le malaise venu, insensiblement, gangréner ce qui n’était qu’un bonheur de façade, tandis que la violence domestique, physique et psychologique, s’installe, insidieuse avant de se faire insupportable.

C’est bien d’un voyage au bout de l’enfer dont il est ici question, scruté par Gröning à la façon d’un entomologiste. La manière ne rend rien en âpreté à la matière, en effet, pour faire de Die Frau des Polizisten une expérience de cinéma aussi envoûtante qu’inconfortable, dont la durée extensive -on se croirait, par endroits, dans une déclinaison absurde d’un reality-show- accroît encore l’impact. Se posant en cousin germain d’Ulrich Seidl, Philip Gröning signe un film audacieux, dérangeant et, partant, déstabilisant, mais pas moins pénétrant pour autant.

  • DRAME DE PHILIP GRÖNING. AVEC DAVID ZIMMERSCHIED, ALEXANDRA FINDER, LARS RUDOLPH. 2H59. SORTIE: 16/07.
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