Comment Opération Dragon et Karaté Kid ont changé la vie de Thomas Gunzig

Thomas Gunzig: comment Opération Dragon et Karaté Kid ont changé sa vie. © Debby Termonia
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Quand il n’aligne pas les punchlines pour ses chroniques ou ses romans, Thomas Gunzig travaille son jab et son jeu de jambes avec un coach particulier. Une passion pour les sports de combat qui remonte à l’enfance. Ou comment Karaté Kid a décidé du sort d’un futur écrivain…

Jardin secret: chaque semaine, portrait d’un artiste belge par le prisme d’une passion qu’il cultive à côté de son métier.

On connaît l’humoriste qui dérouille -verbalement- les invités politiques de La Première dans Le Café serré, on connaît l’écrivain qui dépasse les bornes de l’imagination dans des romans à l’humour tord-boyaux (Mort d’un parfait bilingue, Le Plus Petit Zoo du monde ou encore La Vie sauvage à la rentrée), on connaît le dramaturge tout aussi barré, on connaît également le scénariste multirécidiviste -sur la scène avec notamment Kiss & Cry, au cinéma avec Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael, et bientôt aussi en BD avec deux projets en gestation-, on connaît moins en revanche le fan de sports de combat. Attention, pas l’amateur du dimanche qui regarde en baillant un match de l’UFC sur une chaîne payante, on parle ici du vrai passionné qui non seulement pratique régulièrement les sports de contact depuis qu’il est tombé dans la marmite quand il était petit, mais qui s’intéresse aussi à tout ce que le monde culturel a produit comme chefs-d’oeuvre ou navets autour de la baston.

Thomas Gunzig
Thomas Gunzig© DEBBY TERMONIA

Pour comprendre ce tropisme plus fréquent qu’on ne l’imagine chez les écrivains (surtout grâce à la boxe, qui est presque un genre littéraire en soi, alimenté par des poids lourds comme Hemingway, Bukowski, Norman Mailer ou Joyce Carol Oates), il faut remonter comme souvent à l’enfance et à ses traumatismes. « À onze ans, j’étais une petite chose maigrichonne à la croissance tardive qui subissait les brimades de ses camarades, se souvient Thomas Gunzig. Je pensais qu’il en serait toujours ainsi jusqu’au jour où je suis tombé à la télé sur un extrait de Opération Dragon. On y voyait Bruce Lee affronter la montagne de muscles Bolo Yeung. J’étais fasciné qu’un type au physique si menu et si léger, très loin du profil type des super-héros incarnés par Stallone ou Schwarzenegger, arrivait à allier à ce point grâce et puissance. »

Si cette « rencontre » met du baume au coeur du petit Thomas, elle ne dissout pas toutes ses inhibitions. Il faudra une autre décharge cinématographique trois ans plus tard pour qu’il passe de la théorie à la pratique. Ce deuxième choc, que beaucoup de gamins malmenés dans les cours de récré au début des années 80 ont ressenti, c’est Karaté Kid. « On retrouve plus ou moins le même schéma que chez Bruce Lee, s’enthousiasme rétrospectivement le quadra. Soit l’histoire d’un outsider qui ne sait pas se battre, qui se fait humilier par des petits caïds, et qui va prendre sa revanche en s’initiant au karaté. Avec en plus ici une dimension spirituelle forte autour de la relation du maître à l’élève. Ce fut une révélation pour moi. On pouvait donc changer le cours des choses. » L’ado prend alors son courage à deux mains pour aller pousser la porte du club de karaté du coin. Sa vie vient subitement de changer de braquet. Tout ce qui lui avait manqué jusque-là -la confiance en soi, la gestion de ses émotions, la connaissance de ses limites…- va se matérialiser comme par magie sur les tatamis.

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À se demander pourquoi ses parents n’ont pas tenté cette « thérapie » plus tôt… « Les parents ne connaissent jamais tout à fait leurs enfants, plaide-t-il à décharge. Pensant bien faire, ils m’ont inscrit à des cours de musique, à des stages aux Jeunesses scientifiques. Mais je m’emmerdais comme un rat mort. Ce dont j’avais besoin c’était de faire du sport, mais ils ne pouvaient pas le savoir, moi-même je l’ignorais. Si la violence des autres me traumatisait, c’est sans doute qu’elle faisait écho à une violence que j’avais en moi et qui avait besoin d’être domptée. » Pas de quoi transformer pour autant le novice en brute épaisse. « Je déteste la violence non cadrée. Les gens qui se battent dans la rue ou les mecs qui frappent leur femme, je trouve ça triste et pitoyable. Mais on ne peut nier l’existence d’une violence intérieure, qui est un formidable moteur de vie si on arrive à la canaliser de manière créative ou dans la pratique d’un sport. »

Pendant dix ans, Thomas Gunzig enchaîne les mae geri et les uraken (son coup préféré) avant de ranger le kimono et la ceinture marron quand il devient trop compliqué de concilier les cours à heures fixes avec une vie professionnelle de plus en plus intense et une vie de famille de plus en plus peuplée. C’est une initiative pour le moins originale qui le fera renouer en 2008 avec les arts martiaux. Pour récupérer les droits d’une de ses nouvelles, il propose un combat à l’éditeur Luc Pire, lui-même ceinture rouge de taekwondo. Lieu choisi: la Foire du livre. Ayant pris soin de se faire coacher par un ancien militaire péruvien d’origine japonaise dans les mois qui précèdent l’affrontement -« On allait s’entraîner dans le bois, à la sauvage« -, le romancier l’emporte devant des badauds circonspects et sous l’oeil des caméras, attirées par l’odeur du sang -qui ne coulera finalement pas- et l’entorse croustillante à l’étiquette qui voudrait que des gens de lettres se désintéressent forcément de la mécanique corporelle. Un règlement si pas à l’amiable du moins à la loyale que ne regrette pas un instant l’instigateur de ce duel courtois. « Si c’était à refaire, je le referais. Ça reste un bon souvenir. J’aime bien ce qui sort de l’ordinaire et puis surtout, ça nous a permis de régler un différend avec plus de respect et d’amitié que si on était allés s’écharper devant un tribunal. Il faut parfois sortir du cadre quand on est dans une impasse. »

Réseau d’influences

Thomas Gunzig
Thomas Gunzig© Debby Termonia

Un épisode qui n’a pas vraiment eu de suite. Toujours ces problèmes insolubles d’agenda… Du coup, l’humoriste-romancier se tourne vers la solution pratique du fitness. Les effets sont d’ailleurs visibles à l’oeil nu, une musculature noueuse saillant sous la veste cintrée. Mais quand on a contracté le virus et qu’on n’a pas d’affinités par ailleurs pour le foot, on n’est jamais à l’abri d’une rechute. Depuis quelques mois, il s’offre ainsi les services d’un coach particulier en boxe anglaise. Histoire de varier les plaisirs mais aussi de se rapprocher de l’intérêt qu’il porte depuis des années au MMA, ou mixed martial arts, cette combinaison redoutable de plusieurs disciplines -boxe thaï et jiu-jitsu brésilien pour faire court- popularisée par les compétitions à grand spectacle de l’UFC. Une formule all inclusive qui a remplacé les arts martiaux dans le coeur des adolescents. « Les sports de combat suivent aussi des modes. Avec Bruce Lee, qui ne pratiquait pas le karaté mais le jeet kune do, une sorte de kung-fu, on a assisté à un foisonnement d’arts martiaux et de sports de self défense comme le kendo, le viet vo dao ou plus récemment le krav maga. Depuis les années 2000, on revient cependant à une boxe pieds-poings classique avec en plus des projections au sol. Je pense que si j’avais douze ans aujourd’hui, je me serais dirigé vers le kick-boxing ou le MMA. »

On s’éloigne de l’écriture. Encore que. Le pugiliste jette des ponts entre les deux rives. Déjà Gunzig a farci une partie de son oeuvre de références à sa passion, notamment dans le très autobiographique Et avec sa queue, il frappe! (une réplique de La Fureur du dragon), seul en scène en forme de déclaration d’amour aux films qui l’ont sauvé du naufrage. Essentiellement des films d’arts martiaux et d’horreur. Mais les sports de combat ont aussi modelé son caractère. « Plus que sur mon style, c’est sur ma capacité à résister à la douleur et à me concentrer que je sens une influence. Quand on écrit, on est régulièrement confronté à l’envie d’arrêter. Il faut une solide force mentale pour surmonter ça. L’assurance que j’ai pu trouver dans le karaté m’a aussi aidé à me lancer dans un roman et à oser montrer ce que j’avais écrit. C’est quelque chose de terrifiant quand on y pense, surtout quand vous avez été un mauvais élève à l’école et que vous n’avez eu aucune valorisation de ce côté-là. »

Si la boxe est devenue un objet littéraire presque comme les autres, il en va autrement du MMA, toujours auréolé d’une réputation sulfureuse qui empêche sa reconnaissance, au point d’être encore interdit en France par exemple. Une hérésie pour le chroniqueur. « Il y a plus de blessures graves dans des sports populaires comme le foot que dans les combats de l’UFC, qui sont aujourd’hui très réglementés, s’enflamme-t-il. Certaines coupures saignent beaucoup, c’est donc impressionnant, mais les risques de blessures graves sont très limités. Dans une course de Formule 1, la mort plane en permanence. Pareil dans le cyclisme. Et là personne ne s’offusque. Je vois dans cette stigmatisation une forme de moralisme malsain et de méconnaissance. Sans doute que la symbolique de la cage utilisée comme ring n’aide pas. Pour la petite histoire, cet octogone a été imaginé par le réalisateur de Conan le Barbare, John Milius, pour accentuer la dramaturgie et rendre le spectacle plus impressionnant… »

Ne regrette-t-il pas la part de spiritualité associée aux arts martiaux traditionnels? « Il ne faut pas croire, le respect est très présent dans la boxe. Là encore, il y a une confusion. Dans les arts martiaux, tous les coups sont théoriquement permis. On peut crever les yeux de l’adversaire ou lui arracher les testicules. Alors que dans la boxe et les sports de combat en général, c’est plus balisé, plus encadré. Et si l’on ne parle pas de spiritualité, l’accent est mis sur la respiration, sur les énergies ou sur les déplacements. Le vocabulaire est différent mais la base est la même. »

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Ce qui est sûr, c’est que l’écrivain a un boulevard devant lui s’il veut inséminer les arts martiaux dans la littérature, où ils brillent par leur absence alors qu’ils ont contaminé le cinéma depuis belle lurette. Et alors que la boxe y a par contre largement trouvé refuge. « Dans la littérature de genre, SF, fantasy, etc., on trouve quand même pas mal de références, nuance-t-il. Mais c’est vrai que les arts martiaux n’ont pas encore eu leur Hemingway. Je pense que ça va venir. Nous n’en sommes qu’au début. Même le cinéma d’arts martiaux n’a pas encore vécu son âge d’or. La grammaire évolue en permanence. Avec une place de plus en plus importante à la chorégraphie, comme dans The Raid 2, qui est un petit bijou. »

L’heure du gong a sonné. Alors qu’il se prête de plus ou moins bonne grâce aux demandes de la photographe qui le verrait bien prendre la pose du fameux crane kick de Karaté Kid, on se dit qu’il y a encore du boulot pour faire comprendre que ces disciplines ne se résument pas à une histoire de grand écart facial mais servent avant tout à affronter ses propres démons intérieurs. De l’issue de ce combat dépend parfois la réussite d’une brillante carrière d’écrivain-humoriste-dramaturge-scénariste…

CRASH TEST

Kung Fu Panda ou Tortues Ninja?

« Kung Fu Panda! De loin. Dans les Tortues Ninja les combats sont nuls. En plus, il y a zéro dimension spirituelle. J’aime bien Kung Fu Panda, c’est rigolo et en même temps le film charrie toute une mythologie, avec le vieux maître notamment, qui rappelle les grandes légendes chinoises du Moyen Âge. »

Rocky ou Street Fighter?

« Rocky! C’est une merveille. J’adore. Pour moi, le premier c’est l’un des plus grands films du monde. Les combats sont super bien filmés, et pourtant c’était il y a longtemps. Le personnage est merveilleux, la musique est géniale. C’est une super histoire d’amour, de revanche sur la vie. »

Bruce Lee ou Jackie Chan?

« C’est difficile. Bruce Lee a un charisme incroyable, il a inventé une façon de se déplacer, il a inventé le combat en plan-séquence, comme dans cette scène au Colisée contre Chuck Norris dans La Fureur du dragon. Il avait une élégance incroyable et il a popularisé les arts martiaux au cinéma. Chez Jackie Chan, j’aime bien la fantaisie qui vient du cirque. C’est aussi un grand athlète. Ses premiers films, comme Drunken Master, sont magnifiques. Il allie tradition circassienne et prouesse technique. Mais je suis quand même plus sensible au côté dramatique de Bruce Lee. »

Tigre et Dragon ou Shaolin Soccer?

« En fait, Tigre et Dragon, j’ai trouvé ça bien mais je n’ai jamais accroché. J’ai toujours eu l’impression que c’était le film d’arts martiaux à usage des Occidentaux. Quand il y a trop d’effets spéciaux, ça m’emmerde. Je préfère alors que ce soit complètement assumé comme dans Shaolin Soccer où tout est démesuré. Il y un côté snob dans Tigre et Dragon, avec la petite guitare quand il court sur les bambous, on sent trop que le réalisateur se dit « c’est poétique ». Je préfère de loin les films dont il est inspiré, comme Histoire de fantômes chinois. On n’y trouve pas cette prétention pseudo-artistique qui m’a un peu énervé dans Tigre et Dragon. »

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