Cinéastes, au féminin pluriel: notre bilan du festival Lumière

Variety
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

De Jane Campion, Prix Lumière 2021, à Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais, le festival lyonnais a salué les réalisatrices.

C’est dans l’air du temps: il aura été beaucoup question, lors du treizième festival Lumière, à Lyon, de la place occupée par les femmes dans le 7e art. Mais pouvait-il vraiment en aller autrement alors que le prix Lumière, ce « Nobel du cinéma » comme l’a baptisé l’omniprésent directeur de la manifestation, Thierry Frémaux, couronnait cette année la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion? Une réalisatrice dont il n’est point besoin de rappeler qu’elle était, jusqu’il y a quelques mois à peine, la seule femme récipiendaire de la Palme d’or cannoise, qu’elle avait obtenue en 1996 pour La Leçon de piano.

Vingt-cinq ans auront donc été nécessaires avant que Julia Ducournau ne vienne décliner à son tour le palmarès du plus prestigieux festival du monde au féminin à la faveur de Titane. Passage de témoin acté par l’autrice de Bright Star lors de sa masterclass: « J’ai découvert très vite le lien sacré entre mon énergie, ma psyché, ce que certains appelleront « créativité », avec quelque chose qui semble venir d’ailleurs, qui relève de l’inconscient, d’un rapport avec le divin. C’est tellement mystérieux que je dois y obéir. C’est peut-être pour ça qu’on ne me fait pas faire ce que je ne veux pas. Quand vous sentez cette connexion, prenez-la au sérieux, ça se sent dans le travail que vous faites. Je l’ai ressenti en voyant le film de Julia Ducournau. Titane est un film pur, honnête et unique. » Ce qui méritait bien un renvoi d’ascenseur, Julia Ducournau remettant le prix Lumière à Jane Campion quelques jours plus tard en saluant celle qui lui avait « montré que devenir une femme, c’est savoir se battre pour être libre et le rester« .

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Le secret Tanaka

Si Jane Campion (dont l’on pourra bientôt découvrir l’étincelant The Power of the Dog sur les écrans puis sur Netflix) a fait office de pionnière tant par la singularité que par le rayonnement de son art, elles sont nombreuses aujourd’hui à s’être engouffrées dans la voie qu’elle avait défrichée. Évolution actée par une manifestation qui a présenté les premiers films d’actrices passées derrière la caméra –Maggie Gyllenhaal avec The Lost Daughter, d’après Poupée volée d’Elena Ferrante, ou Rebecca Hall avec Passing, adapté du roman éponyme de Nella Larsen- aux côtés d’autres films de réalisatrices, comme La Fracture de Catherine Corsini, ou Freda de Gessica Généus.

La vocation du festival Lumière reste toutefois avant tout patrimoniale, et l’un des événements de cette édition aura sans conteste été la découverte, dans la section Histoire permanente des femmes cinéastes ayant accueilli par le passé le travail de Lina Wertmüller ou Ida Lupino, de l’oeuvre de la cinéaste japonaise Kinuyo Tanaka. Légende du cinéma nippon, Tanaka est surtout connue pour son parcours de comédienne, et plus particulièrement sa collaboration avec Kenji Mizoguchi, avec qui elle a tourné de nombreux chefs-d’oeuvre parmi lesquels La Vie d’Oharu, femme galante, Les Contes de la lune vague après la pluie ou L’Intendant Sansho. Elle est au faîte de la gloire lorsqu’elle décide, en 1953, de passer à la réalisation au sein d’une industrie ne comptant à l’époque aucune femme cinéaste. « Pour moi, la période de la guerre était comme si nous étions tombés dans un trou, dira-t-elle. Et pour sortir de ce trou, je me suis dit qu’il fallait que les femmes prennent les commandes, à commencer par celles du cinéma. » Sa décision suscite l’incrédulité des studios japonais, quand ce n’est pas l’opposition pure et simple de… Mizoguchi. Tanaka réussira cependant à mener les deux carrières de front, signant, entre 1953 et 1962, six longs métrages(1), d’autant plus précieux qu’il s’agissait là de secrets bien gardés. Maternité éternelle, La Nuit des femmes ou Mademoiselle Ogin composent une filmographie déclinée au féminin, expression d’une sensibilité toute personnelle que l’on retrouve encore dans le délicat La lune s’est levée (1955). Kinuyo Tanaka y reprend l’un des motifs de Yasujiro Ozu, dont elle adapte un scénario inédit, celui du mariage des jeunes filles. Mais alors que chez le réalisateur de Voyage à Tokyo, la question est du ressort des hommes adultes, pères et oncles en particulier, elle appartient ici aux jeunes filles, le film gravitant autour des intrigues de l’espiègle Setsuko afin de trouver un mari à sa soeur Ayako, pour un résultat en tous points délicieux.

La lune s'est levée
La lune s’est levée

Cet élan féminin, il va parfois se nicher là où on l’attend le moins. Dans Walk on the Wild Side par exemple, opus oublié tourné par Edward Dmytryk en 1962 d’après l’oeuvre de Nelson Algren. Une histoire d’amour fou, celle qui conduit, dans les années 30, un péquenot du Texas aux maisons closes de La Nouvelle-Orléans, à la poursuite de l’élue de son coeur. Mais surtout un film, tendance noir, dominé par son imposant quatuor d’actrices, Capucine, Jane Fonda, Anne Baxter et Barbara Stanwyck composant autant d’archétypes féminins au regard desquels la figure du héros (Laurence Harvey) apparaît bien pâle. Cette inversion des rôles, elle préside encore à Variety, film fauché tourné sur le vif par Bette Gordon à New York au début des années 80, sur les pas de Chrissie (Sandy McLeod), une jeune femme acceptant un job de caissière dans un cinéma porno de Times Square, le Variety. Suintant le réel, c’est là une curiosité indie avec notamment Nan Goldin dans son propre rôle de serveuse dans un bar comme on n’ose même plus en rêver. Et un film dont la réalisatrice devait expliquer au public du cinéma Opera, flanquée de son illustre photographe de plateau, qu’elle avait voulu y renverser les genres, « faisant de la femme non plus l’objet, mais bien le sujet« . Si New York City a beaucoup changé, la proposition, elle, n’a pas pris une ride…

(1) L’oeuvre de Kinuyo Tanaka réalisatrice fera l’objet d’une édition DVD courant 2022.

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