Ana Dumitrescu: « Je veux pousser les gens à la réflexion »

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Stagiaire Le Vif

La réalisatrice et photographe était à Bruxelles jeudi soir pour l’avant-première de son film documentaire Khaos: Les visages humains de la crise grecque. Rencontre.

Voilà des mois que la crise grecque joue à cache-cache avec les médias. A l’image de la Syrie, cette catastrophe permanente se rappelle à nous de temps à autres, quand les manifestations chauffent ou quand l’extrême-droite prend des forces. Pourtant, les grecs continuent à souffrir même sans être à la une. C’est pour leur donner la parole qu’Ana Dumitrescu a réalisé Khaos: Les visages humains de la crise grecque, à voir au Flagey à partir du 13 mars. Un film qui se veut proche des gens et de leurs souffrances, sans didactisme ni parti-pris.

« On est partis sans travail d’écriture préalable », explique la réalisatrice dans les locaux de Libération Films, distributeurs de Khaos en Belgique. Photoreporter pour Gamma ou National Geographic, Ana Dumitrescu signe avec Khaos son premier film documentaire en solo. « On est allés trois fois en Grèce, dans des lieux différents, en se laissant guider par les rencontres. Le plus stupéfiant, c’est que tout le monde nous a dit la même chose, toutes classes sociales confondues. Je n’ai trouvé personne pour qui tout semblait aller bien. »

En effet, les protagonistes de Khaos sont au bord de la rupture. Le film s’ouvre sur une scène choc: un couple se tient sur le rebord d’une fenêtre, prêt à en finir avec une vie devenue trop difficile. Plus tard, un dentiste sans clients évoque un possible départ du pays. Ailleurs, un pêcheur tire un trait sur sa retraite pour pouvoir survivre. Et partout, le taux de chômage et le taux de suicide battent tous les records du pays.

Cette réalité, Panagiotis Grigoriou la documente presque tous les jours sur son blog Greek Crisis. Historien et ethnologue, celui qui se décrit comme un « blogueur de guerre économique » est le fil rouge de Khaos. Riche de ses observations, il se fait guide dans cette société partagée entre la lutte et la résignation. Lui-même a vu ses collaborations avec la recherche grecque stoppées par la crise, et le système de donations mis en place sur son blog ne suffit pas à le faire vivre.

Pour l’équipe aussi, porter ce film a été difficile. « Un travail acharné, non-stop », explique Ana Dumitrescu. « On est partis filmer sans attendre de subventions. On est devenus locataires après avoir vendu des biens immobiliers. Il fallait payer le loyer, les billets d’avion, le matériel, la nourriture… » Une fois le film prêt, il fallait le montrer, et appeler les exploitants un par un pour qu’ils programment Khaos. A ce jour, 15.000 personnes l’ont vu en France, dans 135 salles différentes.

Spectateurs en crise

Au moment des débats, la réalité crue de Khaos suscite toutes sortes de réactions. « Les gens montent très vite dans les tours avec ce film », note Sébastien Cheval, attaché de production. « Les haines et les peurs sont réveillées avec en plus la crainte de s’identifier aux témoignages », renchérit Ana Dumitrescu. Parfois, les larmes viennent en réponse au désespoir. La communauté grecque, elle, s’est montrée touchée à de nombreuses reprises. « Ils viennent nous voir et nous disent: merci, car c’est exactement ce qu’il se passe là-bas. »

A d’autres occasions, les discussions s’avèrent plus compliqués. L’équipe garde de mauvais souvenirs de certains débats avec des militants. « Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac mais certaines personnes voient les choses très noir ou blanc », s’agace Ana Dumitrescu. « Il n’y a pas une raison à cette crise, il faudrait remonter un siècle en arrière pour tout détricoter. Mais le film a été récupéré malgré lui par des gens qui ont leur vérité invariable. »

Pas convaincue par le terme de militante (« ça vient de militaire »), Ana Dumitrescu préfère se dire humaniste. « Je me considère apolitique et mon film ne cherche pas à imposer une vision ou une autre. En tant que réalisatrice, mon rôle est de pousser les gens à la réflexion, au risque de les déstabiliser. » Pour que le film vive, elle pousse aussi les gens à démarcher leur cinéma. « Parfois, des gens nous demandent de distribuer le film via torrent ou sur YouTube. Mais il n’y aura pas de débat si on regarde le film sans efforts dans sa cuisine. C’est un acte citoyen de se bouger en salles. »

Après un passage en Wallonie encore à confirmer, Khaos reviendra en France jusqu’en avril. Les discussions sont en cours pour une sortie en DVD mais aussi en VOD. Ensuite, Ana Dumitrescu travaillera sur son deuxième film. « Ce sera un truc un peu à la Kerouac, sur une quinzaine de pays. » Avec, sans aucun doute, beaucoup de rencontres et de visages humains.

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Lucas Godignon (stagiaire)

Khaos: les visages humains de la crise grecque, à Flagey à partir du 13 mars

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