L’art africain moderne et contemporain monte en puissance

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

L’art africain moderne et contemporain n’en finit pas de monter en puissance. Preuve de ce succès, une récente vente aux enchères chez Sotheby’s a dépassé toutes les attentes.

Du 19 au 21 avril dernier, Adriana La Lime était à Bruxelles. La mission de cette spécialiste de l’art africain moderne et contemporain oeuvrant pour Sotheby’s au sein d’un département créé en 2016 à Londres? Rencontrer les collectionneurs et la presse pour faire un bilan à la suite d’une vente particulièrement fructueuse. En effet, le 28 mars dernier, la célèbre maison de vente aux enchères organisait un événement entièrement dédié à la création en provenance du continent africain. Les résultats? Ils ont dépassé toutes les espérances. Alors que les estimations les plus optimistes tablaient sur un montant global de 1.167.500 livres (1.334.910 euros), les différents lots, dont quatorze ont pulvérisé des records, se sont envolés jusqu’à atteindre 1.802.750 livres (2.061.249 euros). Signe des temps, nombre des artistes présentés -il y en avait au total 62 issus de 16 pays différents- n’avaient jamais vu leurs oeuvres vendues à la faveur d’un système d’acquisition par adjudication. Côté chiffres, ce sont deux talents issus du Nigéria, Ben Enwonwu et Njideka Akunyili Crosby, qui ont raflé la mise en atteignant des montants record, respectivement 245.000 et 218.000 euros. On notera que le Congo, un pays qui intéresse tout spécialement la Belgique, s’est lui aussi distingué par le biais de plasticiens tels que Bodys Isek Kingelez (voir photo de couverture), Eddy Kamuanga Ilunga ou l’incontournable Chéri Samba. Si l’on en croit Adriana La Lime, l’effervescence en question n’est pas une simple tocade européenne: « Le continent entier est en train de bouger. On stigmatise parfois les manques de politique culturelle sur place mais il y a beaucoup d’autres acteurs qui s’engagent. Il y a de plus en plus de musées, je pense au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain au Maroc ou au Zeitz Mocaa en Afrique du Sud, de plus en plus de biennales, que ce soit à Dakar, au Bénin, à Marrakech… À cela, il faut ajouter le rôle joué par les collectionneurs africains eux-mêmes. Lors de la vente, 35% des acheteurs étaient issus de l’Afrique. »

Dans la foulée, la spécialiste pointe un intérêt qui s’est internationalisé. Elle explique: « Outre les événements temporaires dédiés à ce type de création, les foires 1:54 à Londres et New York ou AKAA à Paris, on enregistre une programmation de plus en plus conséquente en la matière. On connaît le rôle prescripteur joué par des acteurs phares comme la Fondation Cartier ou, plus récemment, la Fondation Vuitton. Il est également à noter que dans de nombreuses institutions, les sections art africain moderne et contemporain se développent. » Autre signal fort de cet engouement, Adriana La Lime pointe l’émergence de solo-shows consacrés par des musées prescripteurs. C’est le cas du MoMA qui, fin mai 2018, et ce jusqu’au 1er janvier 2019, dédie une exposition au travail de Bodys Isek Kingelez. Révélé en 1989 à la faveur de la très culte exposition Magiciens de la Terre au Centre Pompidou, cet artiste décédé en 2015 à Kinshasa s’est fait connaître à travers d’incroyables « maquettes extrêmes » conçues à partir de matériaux recyclés (carton, papier, plastique…). Quid du profil des collectionneurs? La jeune femme concède avoir des difficultés à dresser un portrait-robot type en raison de la multiplicité des intéressés. Néanmoins, elle n’hésite pas à évoquer des « nouveaux collectionneurs » désireux d’investir sur un marché où les prix sont encore relativement accessibles. À la vitesse où vont les choses -pour rappel, la première vente organisée par la société basée dans New Bond Street avait rapporté 2.044.000 euros-, rien ne dit que ces opportunités perdureront.

Njideka Akunyili Crosby: « A la Warhol »

Njideka Akunyili Crosby
Njideka Akunyili Crosby© A la Warhol Njideka Akunyili-Crosby

Adriana La Lime: « Cette artiste nigériane est née en 1983 à Enugu, dans le sud-est du pays. Désormais installée aux États-Unis, elle déploie une oeuvre qui rend compte de cette double appartenance. Dans ce cas précis, les autoportraits directement inspirés de Warhol affichent un caractère intimiste totalement absent des sérigraphies du maître de la Factory. Estimée à 100.000 euros, cette toile a été acquise pour plus du double. Njideka Akunyili Crosby fait partie des valeurs montantes de l’art africain. Son travail a déjà été exposé dans des musées tels que le Whitney Museum of Art et le New Museum.« 

Ben Enwonwu: « Africa Dances »

Ben Enwonwu
Ben Enwonwu© Africa Dances Ben Enwonwu

« Avec Njideka Akunyili Crosby, Ben Enwonwu (1917-1994) a été l’autre star nigériane de la vente Sotheby’s. Cette toile a été vendue à plus de six fois le prix de son estimation. Enwonwu est considéré comme le père de l’art moderne nigérian. D’une grande sensualité, la composition est issue d’une série de représentations signées en réaction à la parution en 1935 d’un ouvrage caricatural dont le propos consistait à donner une image passéiste et post-coloniale de la société nigériane.« 

Boris Nzebo: « Douala Tonight »

Boris Nzebo
Boris Nzebo© Douala Tonight Boris Nzebo

« Artiste né au Gabon en 1979, Boris Nzebo vit et travaille au Cameroun. S’il ne faisait pas partie du top 5 de la vente, il n’en reste pas moins une signature afro-pop plus que prometteuse. Son approche mélange à la fois la tradition et le contemporain à travers un style très personnel qui fait se superposer visages féminins et paysages urbains. Le tout se découvre à travers des images complexes dont il revient au spectateur de mettre au jour les mises en abyme et les enchevêtrements.« 

Claudette Schreuders: « Three Sisters »

Claudette Schreuders
Claudette Schreuders© Three Sisters Claudette Schreuders

« Parmi la centaine d’oeuvres proposées lors de la vente, une dizaine d’entre elles provenaient de la collection Jerome et Ellen Stern. Ces deux collectionneurs new-yorkais ont fait énormément pour l’art contemporain, notamment pour une artiste comme Marlene Dumas qu’ils ont beaucoup soutenue. C’est également le cas de Claudette Schreuders, sculptrice sud-africaine oeuvrant sur des matériaux traditionnels, dont le travail questionne le fait d’être artiste blanche dans une société post-apartheid.« 

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