Ai Weiwei, sur les traces de son père à Marseille

Ai Weiwei, ici au FOMU d'Anvers en 2017. © BELGA/Luc Claessen
FocusVif.be Rédaction en ligne

« Ah Marseille, pays de brigands, ville terrible! », écrivait le poète Ai Qing en 1933. Dans un musée de cette ville du sud-est de la France, son fils Ai Weiwei revient sur ce voyage en exposant des souvenirs de cette épopée, sans perdre son sens de la provocation.

En 1929, le grand poète chinois Ai Qing (1910-1996) découvre l’Occident en débarquant à Marseille, ébloui et terrifié à la fois par la « violence », la « folie » de la ville et ses « bras géants qui se tendent vers la mer ».

Près d’un siècle plus tard, son fils revient sur ses pas par le biais d’une exposition au Mucem, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, construit sur le quai même où le paquebot transportant Ai Qing avait accosté. « Il a été très ému quand on a visité le port marchand pour retracer l’arrivée du bateau », raconte Judith Benhamou-Huet, la commissaire de l’exposition d’Ai Weiwei.

Lorsqu’elle lui présente le carnet de bord du capitaine André Lebon, « il a carrément les larmes au yeux ».

« En exposant ce carnet, la maquette du bateau ou le masque mortuaire qu’il a fait de son père, il nous livre un peu de son intimité », souligne Mme Benhamou-Huet, « ce qui est rare chez ce géant de l’art, même s’il poste chaque jour sur Instagram ou Twitter! »

A son retour en Chine en 1932, Ai Qing, opposant au Kuomintang, est emprisonné. « Il a ensuite dû laver des latrines pendant des années et brûler ses poèmes devant ses enfants », raconte Mme Benhamou-Huet. « On n’en sort pas indemne, c’est là que se dessine le destin d’Ai Weiwei. »

Savons de Marseille géants

Tout au long de l’exposition intitulée Fan-Tan – du nom d’un char d’assaut offert par un homme d’affaires chinois au Royaume-Uni, qui opérait en France pendant la Première guerre mondiale – Ai Weiwei ne cesse de faire des allers-retours entre Chine et Occident.

Dans la première salle, le visiteur s’interroge devant deux savons de Marseille -produit local réputé- géants, couleur jade – créations originales – d’une tonne chacun. Sur l’un, l’artiste a gravé la déclaration des Droits de l’Homme, et sur l’autre la déclaration des Droits de la Femme, d’Olympe de Gouges.

« Quand je fais une exposition dans n’importe quel lieu, j’essaie de trouver un lien avec la culture locale, la langue ou la tradition de cet endroit », a-t-il expliqué à La Provence.

Juste derrière les savons, un pavillon de bois, structure traditionnelle de l’époque Ming, repeint de couleurs pastel, est posé sur des globes de cristal.

« Ai Weiwei a été très influencé par le principe du ‘ready-made’ de Marcel Duchamp, selon lequel un objet quelconque devient un objet d’art selon le désir de l’artiste », explique Mme Benhamou.

L’artiste chinois a détourné le « porte-bouteilles » de Duchamp. Une réplique géante d’un porte-bouteilles, à l’envers, sur lesquels sont suspendus des lustres en cristal, devient un luminaire monumental, lui aussi créé pour l’exposition.

Une référence à la Chine contemporaine, dont les hôtels, même modestes, raffolent de ces lustres clinquants, mais aussi et encore à son père, car « Ai Weiwei a voulu utiliser des lustres de l’époque du voyage de son père en Occident ».

Ai Weiwei, connu pour son opposition au régime chinois – qui l’a emprisonné 81 jours en 2011 – garde aussi toute sa verve provocatrice dans l’exposition du Mucem.

Un doigt d’honneur est reproduit sous toutes ses formes: en motif répétitif d’une vaisselle de porcelaine, en moulages de verre ou encore dans ses « études de perspective », où le doigt d’honneur vise la Tour Eiffel ou la Joconde.

L’artiste se met aussi en scène, dans un montage en Lego, en train de casser une urne de la dynastie Han.

L’exposition Fan-Tan se visite au Mucem à Marseille du 20 juin au 12 novembre 2018.

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