Speedy Graphito: « mes premiers graffitis ont été faits à la peinture et à la brosse »

Speedy Graphito © DR
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Né au Louvre plutôt que dans la rue, Olivier Rizzo alias Speedy Graphito va là où la peinture le mène. C’est-à-dire? Aux quatre coins du monde, sur la Lune… Et surtout dans son atelier.

Le petit monde qui fait l’art -les galeristes, la presse, le public…- aime les légendes dorées. C’est vendeur et cela dispense de l’effort consistant à regarder une oeuvre sans préjugés. Speedy Graphito en sait quelque chose, lui que l’on commercialise très souvent sous l’emballage « pionnier du street art » ficelé façon « le gars qui a la révélation de la création dans la rue et qui finit par devenir célèbre ». Il est vrai qu’au début des années 80, Olivier Rizzo, son véritable patronyme, signe ses premières interventions au sein du groupe X Moulinex. Marque de fabrique? Les passages pour piétons, cette grammaire urbaine universelle que le collectif s’amuse à détourner systématiquement.

Malgré cet épisode, il serait erroné de faire de Speedy Graphito l’un de ces artistes « nés dans la rue » et qui se seraient ensuite glissés dans l’intimité d’un atelier pour approfondir leur démarche. De fait, l’intéressé nuance: « Ma fascination première remonte à l’enfance, elle a la peinture pour objet. Petit, je passais mes journées au Louvre. C’est là que j’ai eu la révélation de ce que je voulais faire. J’ai enchaîné avec les cours de dessins et puis les écoles d’art. Avant de passer en extérieur, je travaillais déjà beaucoup en atelier. La preuve, c’est que mes premières interventions urbaines ont été faites à la peinture, au glycérol et à la brosse. Ce n’est que par la suite que je me suis servi des bombes aérosol et des pochoirs. L’avantage de cette pratique, c’est qu’elle permet de se faire connaître dans des cercles plus larges. Dans les années 2000, après la galère des années 90, beaucoup de journalistes m’ont présenté comme un pionnier de l’art urbain, ce n’était vrai qu’en partie, mais j’ai laissé dire car je pensais que personne n’était prêt à écouter la longue histoire. » Du coup, on ose la définition qui lui convient le mieux: celle qui fait de lui un héritier direct de la figuration libre telle que l’ont initiée Hervé Di Rosa et Robert Combas. Soit un patchwork esthétique sans frontière ni hiérarchie de valeurs, qui s’inspire de la bande dessinée, de la science-fiction et des sous-cultures.

N’empêche, murs et autres supports citadins lui vont comme un gant et ont agi comme un accélérateur à notoriété qui participera à son succès. Il faut dire que la vie l’avait bien préparé. « Vers quatorze ans, j’étais au Lycée Maximilien Vox, une école artistique. Un professeur m’a demandé de l’aider à peindre des décors de théâtre, j’ai fait cela pendant cinq ans, cela m’a bien servi pour les fresques murales », précise Speedy Graphito. Dans la foulée, Olivier Rizzo s’inscrit à l’école Estienne. Objectif? Devenir directeur artistique. Même s’il ne lui sert à rien -il ne travaillera que deux ans dans le monde de la publicité-, le cursus lui permet d’acquérir « les réflexes de la commercialisation propre aux arts appliqués ». C’est à ce moment-là qu’il forge le pseudonyme de Speedy Graphito. Il explique: « Il fallait que cela sonne comme une marque, que cela protège ma famille des éventuels problèmes judiciaires liés au graffiti et, qu’en plus, cela rappelle mes origines italiennes. »

Speedy Graphito:
© Speedy Graphito

Peindre, dit-il

En découvrant l’exposition que lui consacre en ce moment la Galerie Huberty & Breyne, on est frappé par l’incroyable patchwork qui constitue le style Graphito. Les techniques apparaissent sur les toiles comme autant de strates qui racontent la vie du plasticien français. Bombe, Poska, peinture acrylique, partie gestuelle, géométrie, aplats soignés, éjaculations primitives, citations plus ou moins évidentes, détournements, logos de type world company… Chacune des toiles nécessite un examen attentif. « J’aime mélanger les écritures, la peinture est un langage dont je veux explorer tous les potentiels », analyse Rizzo. Il faut dire que la pratique artistique constitue la totalité de l’existence de Speedy Graphito. « Je ne connais que deux positions. Couché et debout. Quand je suis couché, je dors. Quand je suis debout, je peins. Mon atelier est au coeur de ma maison. J’ai essayé un moment de séparer les deux, c’était impossible, je perdais trop de temps à me rendre de l’un à l’autre », concède celui qui à 55 ans peint encore sept jours sur sept. Il ajoute: « Sans la peinture, la vie ne m’intéresserait pas. C’est l’art qui me nourrit. »

Cette rigueur fait de lui un artiste méticuleux. Deux dimensions de son travail en témoignent. C’est d’abord le soin qu’il met à faire coïncider le contenu et le lieu d’exposition qui frappe. Dans le cadre de l’accrochage Huberty & Breyne, espace qui donne à voir de nombreuses expositions consacrées à la bande dessinée, Speedy Graphito a mis un point d’honneur à truffer ses compositions de citations empruntées au 9e art. Ensuite, la seconde préoccupation incessante de Rizzo est sans hésiter la question du renouvellement. « On ne fait plus aujourd’hui de la musique comme on en faisait dans les années 80, je ne vois pas pourquoi il en irait autrement pour la peinture. Il est crucial de faire évoluer son style. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, le flux est permanent. Les toiles que je présente aujourd’hui seront demain sur les réseaux sociaux. Après-demain, il s’agira de vieilles images. Cela m’intéresse de gérer cette dimension d’accélération du temps », confie celui qui revendique Le Radeau de la Méduse comme modèle absolu. L’obsession de la peinture dont fait preuve Speedy Graphito l’a mené loin. Pas seulement au sens géographique du terme -son travail est présent de l’Inde aux Etats-Unis-, mais aussi dans la mesure où il a été convié à des projets improbables. Le plus étonnant d’entre eux? Sans doute, le logo qu’il a réalisé à la demande de la Nasa sur la fusée de la mission Soyouz TM-17 Altaïr. « Une partie de ce projet spatial s’est détachée et erre aujourd’hui encore dans l’espace. Si un jour la terre venait à disparaître, il y aura toujours une de mes oeuvres en orbite », brandit l’intéressé en guise de barrage contre le néant.

SPEEDY GRAPHITO, HOME STREET HOME, GALERIE HUBERTY & BREYNE, 8A RUE DE BODENBROECK, À 1000 BRUXELLES. WWW.HUBERTYBREYNE.COM JUSQU’AU 29/05.

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