Prix Maeterlinck: une édition virtuelle dans une année sombre

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Ce lundi, les Prix Maeterlinck récompensant les artistes des arts de la scène en Fédération Wallonie-Bruxelles livraient leur palmarès à travers des vidéos. S’y sont exprimés des cris de détresse, des témoignages de solidarité et des appels à un changement nécessaire.

Fallait-il ou pas organiser les Prix Maeterlinck alors que la saison 19-20 a été brutalement amputée pour cause de pandémie et de confinement? La question s’est posée parmi le jury, composé d’une quinzaine de journalistes spécialisés en arts de la scène. Et la réponse, si elle n’a pas été unanime, était oui. Oui, parce que ces Prix servent à mettre en lumière la profession et constituent, principalement à travers les discours des lauréats, une tribune pour l’expression des revendications, des inquiétudes, des espoirs et des joies du secteur, adressés au public, mais aussi aux responsables politiques.

Ce rôle de porte-voix, les Prix Maeterlinck 2020 l’ont joué, non pas « en présentiel », mais par l’intermédiaire des vidéos envoyées par les lauréats. Des vidéos disponibles en ligne en deux formats: en intégralité via des capsules spécifiques à chaque prix et en version raccourcie dans une cérémonie virtuelle montée selon le schéma classique, avec les discours d’ouverture, les interludes musicaux et le traditionnel hommage aux disparus de l’année.

Dans leurs interventions, de façon humoristiquement décalée ou directe, les lauréats n’ont pas manqué de souligner l’extrême fragilité des professionnels du secteur, qui se sont retrouvés en mars dernier, du jour au lendemain, sans emploi, sans contrat, et pour certains sans revenus, sans droits, sans protection sociale. « Bon, on espère que la plupart n’ont pas encore changé de métier ou ont trouvé un p’tit boulot à côté pour continuer à faire cette merveilleuse profession… », relevait la voix synthétique de la vidéo synchronisée de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, dont le huis clos en station-service No One a décroché le prix de la Meilleure mise en scène. « On dégonfle la colère contre le traitement infligé aux plus fragiles et à notre secteur par le gouvernement pendant toute cette période« , affirmait Adeline Rosenstein dans l’émouvant hommage à Olindo Bolzan, comédien parmi les plus brillants de sa génération, qui s’est donné la mort pendant le confinement. Visiblement émue, Marina Pangos, prix de l’Espoir féminin pour son rôle dans My Fair Lady, parlait de « cette année catastrophique 2020« , tandis que Jules Puibaraud, Espoir masculin pour Des caravelles et des batailles, tenait à redire « la peur, la crainte, la colère » et adressait ses pensées à ceux qui sortent des écoles dans un contexte particulièrement difficile, solidarité exprimée également par Guillaume Kerbusch, prix du Meilleur spectacle jeune public pour Jimmy n’est plus là. L’équipe de l’épatant Dimanche, Meilleure création artistique et technique mais aussi Meilleur spectacle, résumait de son côté avec humour, en utilisant un des procédés de son spectacle, l’impossibilité de faire la fête en pleine tempête.

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Les nouvelles directives pour la rentrée, les dérogations obtenues et le public qui répond présent, même masqué, désinfecté et distancié, laissent espérer une lente sortie du marasme. Mais le secteur doit faire face à un autre défi, souligné en particulier par le message du trio créateur de Forces, Meilleur spectacle de danse, Leslie Mannès, Thomas Turine et Vincent Lemaître, rejoints en cours de route par les chorégraphes des deux autres spectacles nommés, Ayelen Parolin pour Weg et Lara Barsacq pour Ida, Don’t Cry Me Love: « Lors des nominations, une vague de soulèvement s’est exprimée autour de la question des minorités et de la visibilité des personnes racisées dans notre secteur, et plus particulièrement autour de l’événement qui nous concerne aujourd’hui, à savoir ce Prix de la Critique« , soulignait Leslie Mannès. « L’année dernière, poursuivait Lara Barsacq, Priscilla Adade a lancé un message clair: « Où sont les personnes non blanches dans le secteur culturel, que ce soit aux postes de direction, d’administration, de la technique, de l’artistique, de la critique ou des nominés de ce prix? Le message était très clair, mais la question reste: où sont ces corps et ces voix? » »

En anticipant de quelques jours la sortie d’un article sur le sujet, permettez-moi de vous retourner humblement la question: où étaient les corps non-blancs dans Forces, dans Weg, dans Ida Don’t Cry Me Love? Une question qui peut, doit être posée à tous les créateurs et porteurs de projets nommés ou lauréats de ces Prix. Les Prix Maeterlinck arrivent au bout de la chaîne et ne sont qu’un reflet, certes imparfait, incomplet, partial et subjectif, de ce qui se passe sur nos scènes. A l’autre bout, il y a ceux qui décident de qui aura la parole, de qui sera visible: les directeurs de théâtres, les programmateurs, mais aussi les metteurs en scène et les chorégraphes. Si la prise de conscience et le changement doivent intervenir à tous les niveaux -enseignement, création, diffusion, médiatisation…-, ils ne pourront être effectifs que par ce début de chaîne. Et pour une vraie diversité dans les projets et les distributions, pas seulement en cantonnant les artistes non blancs aux spectacles sur l’immigration, les réfugiés et les questions d’identité. L’appel est lancé.

Toutes les capsules sont visibles sur YouTube, Auvio et sur Facebook.

Le palmarès complet

Meilleur Spectacle: Dimanche, de Julie Tenret, Sicaire Durieux, Sandrine Heyraud.

Meilleure Mise en scène: No One, de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola.

Meilleur spectacle de danse: Forces, de Leslie Mannès, Thomas Turine et Vincent Lemaître.

Meilleur spectacle de cirque: 125 BPM, du Duo André/Léo.

Meilleure comédie/Meilleur spectacle d’humour: Au suivant!, de Guillermo Guiz.

Meilleur spectacle jeune public: Jimmy n’est plus là, de Guillaume Kerbusch.

Meilleur Seul en scène: Tchaïka, de Natacha Belova et Tita Iacobelli. Avec Tita Iacobelli.

Meilleure découverte: Home, de Magrit Coulon.

Meilleur Comédienne: Isabelle Defossé, dans Villa Dolorosa, de Georges Lini.

Meilleur comédien: Adrien Drumel, dans Le Roman d’Antoine Doinel, d’Antoine Laubin.

Espoir féminin: Marina Pangos, dans My Fair Lady, de Frederick Loewe et Alan Jay Lerner. Mise en scène de Jack Cooper et Simon Paco.

Espoir masculin: Jules Puibaraud, dans Des caravelles et des batailles, d’Éléna Doratiotto et Benoît Piret.

Meilleur Auteur/ Meilleure Autrice: Collectif La Brute pour Paying for it

Meilleure scénographie: Les Falaises D’Antonin Jenny. Scénographie de Charles-Hippolyte Chatelard.

Meilleure Réalisation artistique et technique: Dimanche, de Julie Tenret, Sicaire Durieux, Sandrine Heyraud.

Prix Bernadette Abraté, qui honore le rayonnement d’une personnalité des arts de la scène: Catherine Magis et Benoît Litt, Fondateurs et directeurs de l’Espace Catastrophe, Centre International de Création des Arts du Cirque.

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