Laurent Raphaël

Molenbeek-Le-Zoute

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

En attendant de réussir le pari du succès de foule (bien emmanché si l’on en juge par la fréquentation du premier week-end -4000 personnes, soit 12% de l’objectif annuel!-), le quatuor à la barre du MIMA a déjà réussi un autre défi de taille: remettre un peu de surréalisme dans ce champ de bataille urbain…

Ce qu’il y a de bien avec les vernissages, c’est que le spectacle est parfois autant dans la salle que sur les murs. L’exubérance, le snobisme et la misanthropie ont souvent rendez-vous avec le besoin d’être vu, reconnu et approuvé dans une interprétation très libre de cette formule géniale de Victor Hugo: la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Quand la démonstration d’ego s’ajoute en plus une charge sociologique à faire avaler un ver de travers à feu Bourdieu, le petit rituel d’ouverture d’un lieu culturel prend des allures de farce cosmique.

Comme mercredi passé, lors du premier vernissage du MIMA, le Millenium Iconoclast Museum of Art, nouvelle vitrine bruxelloise de l’art urbain sous toutes ses formes. Contrairement à sa version bis du lendemain, ouverte elle à la faune arty, cette avant-première était réservée aux donateurs et sponsors de ce lieu câblé sur son époque, ses pulsations, ses convulsions. Les enfants de Launoit (le concours Reine Elisabeth, la Royale Belge…), qui ont aidé à boucler le budget, avaient essoré leur carnet d’adresses pour l’occasion. Avec succès à voir défiler les têtes couronnées de la finance et de l’industrie belge, Etienne Davignon en tête, donnant même à l’événement un petit côté conseil d’administration de la Sabena. Ou plutôt d’InBev puisque le MIMA a investi les anciennes brasseries Belle-Vue, ce phénix qui n’arrête pas de renaître de ses briques, et trouve enfin une affectation -espérons-le définitive- qui va comme un gant à sa carcasse industrielle.

C’est ici que ça devient intéressant. Tout qui connait un peu la géographie bruxelloise sait que ce vaste édifice a jeté l’ancre le long du canal qui coupe symboliquement la ville en deux. Pas du « bon » côté du canal, celui de Bruxelles-ville, non, du côté… de Molenbeek, le pire endroit de l’univers pour Donald Trump, une no go zone pour toutes les chaînes de télé américaines, un nid à djihadistes pour la Terre entière. Autrement dit, pas vraiment l’endroit où l’on s’attend à croiser des millionnaires bronzés sur tranche avec un accent ucclois à couper au couteau. Et pourtant, comme par magie, sur le coup de 18h30, ce quai du Hainaut situé à portée de kalachnikov de la dernière planque de Salah Abdeslam ressemblait à l’avenue Lippens à Knokke un 21 juillet, défilé de berlines et de tenues made in Italy compris. Le choc des mondes. Le choc des cultures. Et des clichés aussi. Hors les murs avec ces couples apprêtés arpentant le bitume sur fond de façades lépreuses hérissées de paraboles. Dans les murs avec ces mêmes couples s’extasiant devant les collages et fresques monumentales de ces presque hors-la-loi dont le discours, même quand il revêt une apparence décorative comme chez la très colorée Maya Hayuk, transpire la critique sociale et le rejet de l’establishment.

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De quoi alimenter le débat sur la déradicalisation -un mot à manipuler avec précaution dans le coin…- du street art. Certains verront dans ce télescopage le comble du cynisme, le signe que la discipline a définitivement vendu son âme au grand capital. Ce qui est sans doute vrai quand le geste du graffeur se laisse enfermer dans un tableau, mais l’est beaucoup moins quand, comme ici, les cinq artistes américains s’approprient avec panache et à-propos l’espace comme ils le feraient d’une maison abandonnée, du sol au plafond, de la cave au grenier. Au final, on se dit même que c’est plus ce public échappé des beaux quartiers qui risque d’être contaminé par un discours séditieux que l’inverse.

Au-delà de la querelle de chapelle et du côté burlesque de la situation, qu’il serait facile de tourner en dérision (il y a là une réserve inépuisable de caviar pour la regrettée Strip-tease), on préfèrera souligner le pouvoir d’aimantation de l’art qui réussit ce miracle de faire venir dans la commune la plus redoutée d’Europe le haut du panier de l’économie belge. Pour prendre la mesure de cet exploit, c’est un peu comme si Bernard Arnault, patron tout puissant du groupe LVMH, débarquait avec ses amis de Neuilly dans le nord de Marseille pour inaugurer un festival de rap. En attendant de réussir le pari du succès de foule (bien emmanché si l’on en juge par la fréquentation du premier week-end -4000 personnes, soit 12% de l’objectif annuel!-), le quatuor à la barre du navire a déjà réussi un autre défi de taille: remettre un peu de surréalisme dans ce champ de bataille urbain…

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