Le secteur des arts de la scène craint « un naufrage » et demande la mise en place d’une réelle concertation

FocusVif.be Rédaction en ligne

La Fédération des employeurs des arts de la scène demande, dans une lettre envoyée au ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Pierre-Yves Jeholet, le lancement d’un processus de travail avec le secteur.

La demande est particulièrement claire de la part du secteur : « Nous n’avons pas, nous n’avons plus besoin de compréhension, de reconnaissance, d’empathie, de consultations stériles et chronophages. Nous avons besoin de décisions franches, d’actes clairs et de prise de responsabilité politique. »

La fédération réclame le lancement d’un réel processus de concertation avec des représentants du ministre et du cabinet du la ministre Bénédicte Linard, « afin de faire émerger et de concrétiser, selon un calendrier effectif et rapide, l’ensemble des mesures à prendre à court, moyen et long terme, avant que le naufrage n’ait lieu ».

Au niveau fédéral, c’est la « disette », déplore le secteur. « Hormis la neutralisation pendant une courte période de crise pour la prise en compte et le calcul des conditions de maintien et d’accès au régime particulier de chômage pour les artistes, aucune mesure concrète n’a été prise pour faciliter l’accès et le maintien de ce régime sur le long terme« , pointe notamment la fédération.

En outre, « bien que de multiples propositions aient été faites par les intermédiaires concernés, aucune décision majeure n’a pu être obtenue pour sauvegarder le dispositif » du tax-shelter.

L’intégralité de la lettre:

Monsieur le Ministre-Président, Cher Monsieur Jeholet,

La carte blanche que vous avez publiée dans la presse du lundi 4 mai a retenu toute notre attention, tout comme votre Grand Oral Rtbf/Le Soir du samedi 2 mai, dans lesquels vous rappelez à quel point la culture et l’ensemble de ses professions sont indispensables à la construction et à la vie d’une société inclusive, ouverte à toutes et tous, qu’elle doit être partagée et accessible par toutes et tous, pour toutes et tous.

Nous ne pouvons que souscrire à votre constat et à ses valeurs cardinales du « devoir » d’agir sans relâche, de la « conviction » que la culture est symbole de la liberté humaine, d' »engagement » à tout mettre en oeuvre pour donner un accès à tous à la culture et de « projet » de donner le moyens de soutenir cette créativité, « notre matière première » comme vous le dites.

Le verbe est éloquent, il témoigne de votre volonté d’un engagement majeur, des missions que vous vous assignez, nous vous en remercions, et nous devrions pouvoir nous en réjouir sans crainte, ni arrière- pensées.

Permettez-nous pourtant de vous écrire, Monsieur le Ministre-Président, qu’aucun de ces objectifs – maintes fois exprimés par vos prédécesseurs depuis plus de vingt ans – ne pourront être atteints si, dès aujourd’hui et dans les jours qui suivent, des décisions concrètes ne sont pas prises; si, au-delà des déclarations d’intention, un plan global d’accompagnement budgétaire et logistique de la crise actuelle, puis une revalorisation du financement de la culture ne sont pas établis, afin de donner à ses métiers et à ses missions les ambitions légitimes que vous lui destinez, afin d’abord de colmater les brèches de ce Titanic à l’orchestre muet sur lequel nous sommes toutes et tous embarqués, et de lui donner la chance de poursuivre son itinéraire, avant de concourir à construire une embarcation mieux charpentée qui permettra au plus grand nombre possible de nos concitoyens d’y voyager.

« Notre obligation est celle de résultat » écrivez-vous. Nous ne pouvons qu’applaudir, mais à l’heure d’aujourd’hui, de quels résultats parlons-nous?

Au niveau des autorités fédérales, c’est la disette:

– Hormis la neutralisation pendant une courte période de crise pour la prise en compte et le calcul des conditions de maintien et d’accès au régime particulier de chômage pour les artistes, aucune mesure concrète n’a été prise pour faciliter l’accès et le maintien de ce régime sur le long terme, nonobstant la crise de l’emploi qui règnera pour une très longue période à venir. De même, nous attendons toujours (même si des signaux positifs nous sont parvenus sur ces points) une définition non sujette à interprétation de l’ONEM des conditions d’accès au chômage temporaire pour les contrats non signés au 13 mars 2020 pour des évènements ultérieurs annulés, et une garantie de prolongation de la période autorisant de manière non restrictive le recours au chômage temporaire pour force majeure, au-delà du 31 mai 2020, pour les secteurs les plus fortement pénalisés dont le nôtre, tant que la réouverture de nos salles n’est pas autorisée.

– Il en est de même pour le Tax-Shelter, ce financement alternatif issu du privé dont vous appelez à la mobilisation et qui a levé sur l’exercice 2019 plus de huit millions d’euros en direction des arts de la scène en Fédération Wallonie-Bruxelles; toutes les prévisions laissent supposer une chute vertigineuse pour l’année en cours et la suivante, mais, bien que de multiples propositions aient été faites par les intermédiaires concernés, aucune décision majeure n’a pu être obtenue pour sauvegarder le dispositif, permettre l’indispensable pérennisation des levées, et, par ricochet, la mise en oeuvre des projets artistiques et la création des emplois qui en dépendent.

Le bilan de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont vous jugiez de l’inefficacité il y a peu, n’est hélas pas meilleur: en dehors de déclarations empathiques et compassionnelles, en dehors de l’assurance de disposer du maintien de la subvention pour l’année civile en cours, rien, nada, nothing, nihil, niente. « Vous êtes ingrats! Oubliez-vous ce fonds d’urgence fixé pour l’ensemble des professions de la culture au montant de 8.400.000 euros? » pourriez-vous nous rétorquer… Nous ne l’oublions pas, mais la procédure retenue, où, à bien la lire, l’on hésite entre Kafka et Courteline, ne nous garantit en rien l’obtention d’un dédommagement, restreinte par l’enveloppe dont on ne sait comment elle a été estimée, ankylosée, semble-t-il, par une méfiance a priori du bien-fondé des demandes qui seront introduites par les opérateurs culturels et de la bonne fin de l’utilisation qui en sera faite.

Monsieur le Ministre Président, notre Fédération s’est entièrement mobilisée depuis le début de la crise sanitaire, faisant nombre de propositions à destination des différents niveaux de pouvoir concernés, et principalement en direction de la Fédération Wallonie-Bruxelles dont vous dirigez l’Exécutif, propositions communes élaborées par des professionnels dont on ne peut mettre en doute la compétence, le savoir de leur métier, de ses paradigmes et de ses nécessités.

Hormis notre note sur le déconfinement partiellement prise en compte, aucune n’a été considérée, et force est de devoir écrire que, pour la plupart d’entre elles, nous en sommes toujours à attendre un symbolique et poli accusé de réception. Et contrairement à ce qui a été dit à de multiples reprises dans la presse, aucune consultation des instances d’avis n’a eu lieu (à notre connaissance et à tout le moins pour ce qui relève du Conseil de l’Art Dramatique), bien que celles-ci soient toujours actives et compétentes jusqu’à la nomination des prochaines.

Monsieur le Ministre-Président, Monsieur Jeholet, nous nous adressons à vous après cinquante-cinq jours d’un arrêt total de nos activités. L’ensemble des arts de la scène (théâtre, musique, opéra, conte, cirque, danse) sont en danger ; les institutions comme les compagnies, les artistes comme les techniciennes et techniciens, les femmes comme les hommes qui le constituent, qui en sont la force vive, qui créent au jour le jour les conditions de cette liberté humaine que vous défendez, sont en danger, en grand danger.

Nous n’avons pas, nous n’avons plus besoin de compréhension, de reconnaissance, d’empathie, de consultations stériles et chronophages. Nous avons besoin de décisions franches, d’actes clairs et de prise de responsabilité politique.

Monsieur le Ministre-Président, Monsieur Jeholet, nous vous demandons donc solennellement non pas votre soutien puisque nous savons qu’il nous est acquis, mais bien la mise ne oeuvre d’un réel processus de travail à votre initiative, en compagnie de conseillers de votre cabinet et de celui de Madame la Ministre Bénédicte Linard, des responsables de vos administrations respectives, en présence de membres de notre secteur qui pourront y apporter leurs expertises concrètes des problématiques à traiter, et cela afin de faire émerger et de concrétiser, selon un calendrier effectif et rapide, l’ensemble des mesures à prendre à court, moyen et long terme, avant que le naufrage n’ait lieu.

À défaut et pour vous paraphraser, nous serons toutes et tous privés de notre Liberté de créer, de notre Humanité…et pour longtemps.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre-Président, cher Monsieur Jeholet, à l’expression de nos salutations les plus distinguées.

Pour la FEAS, Philippe Degeneffe, Président

LA FEDERATION DES EMPLOYEURS DES ARTS DE LA SCENE

ATELIER 210, ATELIER THEATRE JEAN VILAR, BRIGITTINES, CAV&MA, CHARLEROI – DANSE, CIE THOR/THIERRY SMITS, DEL DIFFUSION VILLERS asbl, FESTIVAL DE LIEGE, FLAGEY Asbl, IDEA / JOSE BESPROVANY, LA COMEDIE CLAUDE VOLTER, LA FABRIQUE DE THEATRE, LA MAISON EPHEMERE- CIE THEATRALE, LE RIDEAU DE BRUXELLES, LES BALADINS DU MIROIR, LES FESTIVALS DE WALLONIE, L’L, MARS/MONS ARTS DE LA SCENE, OPERA ROYAL DE WALLONIE, ORCHESTRE PHILHARMONIQUE ROYAL DE LIEGE, ORCHESTRE ROYAL DE CHAMBRE DE WALLONIE, PALAIS DES BEAUX ARTS DE CHARLEROI, PIERRE DE LUNE, TANDEM / CIE MICHELE NOIRET, THEATRE 140 , THEATRE DE L’ANCRE, THEATRE DE LA VIE, THEATRE DE L’EVEIL, THEATRE DE LIEGE, THEATRE DE NAMUR,THEATRE DE POCHE, THEATRE DES MARTYRS, THEATRE LA BALSAMINE, THEATRE LE PUBLIC, THEATRE LES TANNEURS, THEATRE NATIONAL, THEATRE OCEAN NORD, THEATRE ROYAL DES GALERIES, THEATRE ROYAL DU PARC, THEATRE VARIA

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