L’oeuvre de la semaine : quand Betty Boop rencontre Sainte Agathe

I am witness of your tears in the land of tulips. © @We Document Art. Courtoisie de l'artiste et galerie Nathaie Obadia Pris/Bruxelles.
Guy Gilsoul Journaliste

 » Sainte Agathe, je suis témoin de tes larmes dans le pays des tulipes « . Le titre curieux de cette peinture de Hoda Kashiha (°1986) nous invite à décrypter les images et à poser une première question : que vient faire cette figure religieuse sicilienne dans cette oeuvre aux allures néo-pop ?

A Catane, la fête très populaire de sainte Agathe donne lieu à une procession et au partage de gâteaux vendus par paire dont l’apparence, renvoyant à son martyre, est celle de petits seins pâles surmontés par une cerise confite. Quant au « pays des tulipes » (les fleurs inscrites en rouge intense au bas du tableau), il désigne les terres natales de l’artiste puisque ces fleurs en sont l’emblème. Mais alors, que vient faire Betty Boop dans cette histoire ? Le personnage de dessin animé est né à l’heure de la grande dépression américaine et aura la vie courte. En cause : la révolution que l’héroïne des studios Fleisher porte en elle avec sa robe trop courte, son maquillage de séductrice, ses longues jambes sensuelles et sa voix jazzy. « Poo-poo-pee-doo ». L’Amérique puritaine aura raison de cette « garçonne » chanteuse de cabaret. Quatre ans après sa première apparition sur les écrans de cinéma, elle est obligée de s’habiller plus chastement et d’abandonner la musique au profit des tâches ménagères. Quatre ans encore et elle aura disparu des radars.

L’histoire d’Agathe renvoie à une autre forme de féminicide puisqu’elle met en scène un proconsul romain du 3e siècle, idolâtre, vicieux, pauvre mais ambitieux qui voit en la belle, riche et jeune Agathe (elle n’a que 13 ans), l’objet de ses convoitises. Or celle-ci lui résiste, pire, elle refuse de lui obéir en abandonnant son dieu au profit de l’idolâtrie. Suivent, nous explique la légende dorée, les menaces, l’envoi dans une maison close puis la prison. Rien n’y fait. Et même pas la torture. Même pas le fait qu’après avoir tailladé au couteau les seins menus de l’adolescente, vient le temps où, à l’aide de tenailles, le bourreau les lui coupera. Ce sera l’image de ces deux seins sur plateau que retiendront Piero Della Francesca, Zurbaran, Tiepolo et…les pâtissiers de Catane.

Voilà donc un tableau non seulement très actuel mais aussi politiquement brûlant pour quelqu’un qui vit et travaille à Téhéran. Mais Hoda Kashiha, jouant des métaphores élargit encore le propos. En effet, le fragment de féminité (la poitrine blessée par une main anonyme) se superpose à un autre corps, masculin cette fois. Poser cette image double d’une sainte au voisinage d’une Betty Boop libertine n’est déjà pas anodin dans un pays où règne tant d’interdits liés à la liberté d’expression et au statut de la femme. Y ajouter la dimension du transgenre pointe une autre forme d’intolérance qui bien qu’incendiaire en Iran, gagne avec l’esthétique revisitée du Pop Art (joyeux et coupant), un constat élargi aux idéologies de l’American First de Trump.

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