Critique

L’immersion utérine de Vincent Glowinski

Mater Museum © Vincent Glowinski
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Vincent Glowinski investit le Bota pour parler filiation le temps d’une confrontation avec les oeuvres de sa mère, Agnès Debizet. Époustouflant!

Un ptérodactyle rouge sur fond noir. Telle est la vision spectrale que donnent à voir les affiches de la dernière exposition de Vincent Glowinski. Cet oiseau au bec surdimensionné n’est pas sans rappeler Adèle et la Bête, la première aventure d’Adèle Blanc-Sec du grand Jacques Tardi. Suspendu au plafond, le volatile carmin se retrouve à l’entrée de la nouvelle exposition du Botanique. Il n’est pas là par hasard, même si l’artiste avoue « ne pas vraiment savoir ce qu’il signifie« . Cette image incongrue est une sorte de trait d’union entre le travail de Glowinski dans l’espace public, du temps où il se faisait appeler Bonom, et les oeuvres qu’il présente aujourd’hui dans l’espace du Muséum. En effet, les observateurs attentifs des murs de la capitale se souviendront que la créature ailée est la dernière « trace » que Bonom a laissée dans Bruxelles, à la faveur d’une intervention rue de Flandre. « C’était la semaine où ma fille est née, j’ai éprouvé le besoin de peindre une dernière fois sur façade« , résume-t-il. Tourner la page pour en ouvrir une autre… et si cet oiseau d’un autre âge était phénix plutôt que prédateur? Une chose est sûre, c’est bien de filiation qu’il est question dans ce Mater Museum abouti et cohérent. « Ce projet est le souhait que je porte depuis longtemps de présenter mon travail avec celui de ma mère« , annonce Glowinski. Pourquoi? Parce que « je ne suis plus capable de dessiner les pattes griffues d’un oiseau sans que cela ressemble à ses dessins« . L’histoire que raconte l’exposition est celle d’une extraction, une seconde naissance, artistique celle-là, qui lui a permis de quitter symboliquement le ventre redoutablement fécond de sa mère.

Singes d’hommes

Une petite pièce exposée dans une vitrine livre une piste qu’aurait pu suivre Glowinski pour exprimer le lien maternel. Il s’agit d’un volcan en forme d’utérus à côté duquel gisent des corps. On songe au fameux vers de Rimbaud: « Singes d’hommes tombés de la vulve des mères. » Mais il n’a pas souhaité privilégier la voie qui aurait consisté à déprécier, voire « tuer la figure maternelle », pour exister. En lieu et place, le Français installé à Bruxelles a voulu pointer les « interstices » du dialogue. Entre la mère et le fils existe une convergence, un fil rouge, c’est « l’obsession pour la matière« . Qui dit « convergence » dit également « divergence ». Tandis que Vincent Glowinski part d’un matériau amorphe, difficile à travailler et tout en tension, le cuir, Agnès Debizet, quant à elle, utilise la terre et son incomparable souplesse. Pourtant, à l’arrivée, les oeuvres sont inversement proportionnelles à la manipulation initiale: légèreté du cuir versus caractère pesant des grès. Autre différence de taille, Debizet se coule dans les lieux où elle expose, souvent des abbatiales romanes, alors que Glowinski met en scène, « marionnettise » ses créations. C’est cet incroyable chiasme que l’on retrouve mis en lumière, au propre comme au figuré, dans un parcours qui évoque la grande galerie de l’Évolution du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. On assiste à une cosmogonie qui s’étire depuis les « premiers mouvements du monde » et les formes rampantes… jusqu’aux ossatures qui colonisent les airs. A la fois faune et bestiaire, les travaux de Vincent Glowinski et d’Agnès Debizet reconstituent un univers qui se redresse pour tenir sur ses pattes. Un miracle que l’on pourrait contempler des heures.

VINCENT GLOWINSKI ET AGNÈS DEBIZET, BOTANIQUE, 236 RUE ROYALE, À 1210 BRUXELLES. JUSQU’AU 17/04. WWW.BOTANIQUE.BE

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