Jeanne d’Arc au bûcher embrase la Monnaie

Audrey Bonnet, une Jeanne d'Arc fragile mais ardente. © Bernd Uhlig

Mis en scène par l’iconoclaste Castellucci, Jeanne d’Arc au bûcher, l’oratorio dramatique d’Honegger, embrase la Monnaie.

Avant même que résonnent, à Bruxelles, les premières notes de la Jeanne d’Arc au bûcher conçue par l’artiste italien Romeo Castellucci, la fédération Pro Europa Christiana, offusquée que l’héroïne s’y travestisse en… concierge, demandait, 14.000 signatures à l’appui, l’annulation du spectacle. Visiblement, près de trois ans après sa création remarquée à Lyon – des CRS avaient dû disperser des extrémistes venus protester contre une « atteinte à la figure de la sainte » -, certains ont encore du mal, tant avec la défroque de la Pucelle, qu’avec son plus simple appareil. Dans cette épopée à rebours de sa courte existence, il y a certes un moment où la demoiselle, qui n’a plus qu’à s’offrir au feu de l’enfer, se retrouve parfaitement nue sur scène. Mais pas de quoi s’enflammer, les gars. Toute déroutante et hallucinée, la production de Castellucci ne vise pas d’autre dessein, justement, que d’arracher à la jeune hérétique ces oripeaux plaqués par ceux qui se sont approprié son destin depuis six siècles (catholiques traditionnalistes, royalistes, républicains, communistes, féministes, nationalistes…), pour nous la rendre pure et tout à fait « nature ». Dépouillée, en somme, des vilaines couches hermé(neu)tiques qui l’enserrent, aussi compactes qu’une cotte de maille.

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L’oeuvre étrange et survoltée d’Arthur Honegger, composée en 1938 sur un livret de Paul Claudel, commence ici par un prologue dépourvu de musique, dans une salle de classe pleine de fillettes sages en uniforme, comme si l’histoire de Jeanne appartenait désormais aux écoliers. C’est la fin des cours. Le brouhaha laisse place au silence. Un homme de ménage débarque, mais c’est dans sa tête qu’a lieu, très vite, le grand nettoyage. Des pupitres valsent. Le préposé se retranche, arrache le carrelage, ravine le sol avec fureur. C’est parti. Depuis le couloir, un directeur, qui tentait de raisonner l’employé, se transforme en Frère Dominique. Et le forcené devient… Jeanne. L’opéra débute enfin, suite de onze tableaux qui ravivent, à reculons, le destin de la petite Lorraine aux voix impérieuses. Est-elle la France? Est-elle folle? Comme d’autres excellentes actrices avant elle (Ingrid Bergman, Elizabeth Taylor, Marthe Keller, Isabelle Huppert, Marion Cotillard…), Audrey Bonnet, 44 ans, fragile, vibrante, ardente, assume ce quasi « seule-en-scène » (une heure quarante sans entracte) avec maestria – l’autre rôle parlé (Frère Dominique) incombant au comédien Sébastien Dutrieux. Les chanteurs, parmi lesquels les sopranos belges Ilse Eerens et Tineke Van Ingelgem, sont relégués aux coulisses, tandis que le choeur, à la fois narrateur et personnages du récit, occupe le quatrième balcon. A la verticale dans la fosse, pour emporter ce mélange subversif de music-hall, de jazz, de chants spirituels austères et médiévaux accompagnés par les étonnantes ondes Martenot (l’un des plus anciens instruments… électroniques), un revenant: Kazushi Ono, ex-directeur musical de la Monnaie, qu’on n’avait plus vu à ce pupitre depuis plus de dix ans. Un joyau, incandescent.

Jeanne d’Arc au bûcher, d’Arthur Honegger: à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 12 novembre. www.lamonnaie.be

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