[Critique théâtre] Love and Money: quand on aime, on ne compte pas?

Love and Money, Théâtre de Poche, Bruxelles, avril 2018 © Veronique Vercheval
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

L’impitoyable Dennis Kelly est de retour au Théâtre de Poche. Attention aux éclaboussures.

Le concept de la pièce, l’opposition qui la sous-tend, est dans le titre. Love and Money. On pourrait craindre un plan schématique du genre « L’amour? Bien! L’argent? Pas bien! », comme dans la scène de projection de dias anti-tabac du Pari des Inconnus. Mais ce serait sous-estimer la plume acérée et le sens de la construction de Dennis Kelly, auteur britannique très présent sur nos scènes ces derniers temps (Taking Care of Baby à l’Océan Nord l’an dernier, Orphelins, déjà au Poche, une autre mise en scène de Love and Money au Varia…).

Autour du parcours d’un couple -David et Jess, de l’amour jusqu’à une mort atroce dans ses motivations-, Kelly construit un savant édifice où l’histoire est servie par tranches, par des voix multiples, et dans le désordre. Au spectateur de reconstituer le puzzle, de tisser les liens. On passe d’un échange d’emails à une confession autour de la profanation d’une tombe, d’un bureau d’une société de télécoms à la salle d’attente d’un hôpital. Et tout s’imbrique au fur et à mesure que se constitue un portrait au vitriol de notre société occidentale contemporaine, royaume des apparences et des signes extérieurs de richesse, où le shopping peut devenir une addiction, où il est possible de s’endetter à l’envi, où l’on peut assassiner pour un téléphone portable, bref, où l’argent peut aisément triompher de l’amour, même si « l’argent, c’est mort ».

Pour porter ce texte où cruauté et humour s’entrechoquent violemment (et claquent probablement encore plus en version originale), Julien Rombaux, présent en ménestrel disco pour un interlude karaoké, a formé un séduisant mix de nouvelles têtes et de valeurs sûres. Philippe Grand’Henry et Magali Pinglaut assurent un duo de parents à la fois aimants et ignobles. Quant à la jeune Sarah Espour, elle dose habilement innocence et grain de folie pour incarner Jess, jusque dans le périlleux monologue final. Pour arriver là depuis la scène initiale, puissante, où une Madone au coeur apparent se fait démolir à la masse sur une Sarabande de Haendel, le chemin explore les limites de l’être humain. Du sublime à l’écoeurant. Chaudement recommandé.

Love and Money: jusqu’au 5 mai au Théâtre de Poche à Bruxelles, www.poche.be et du 15 au 18 mai au Théâtre de l’Ancre à Charleroi, www.ancre.be, les 23 et 24 mai à la Maison de la Culture de Tournai, www.maisonculturetournai.com.

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