Critique théâtre: Il était une fois en Amérique

© Michel Boermans
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Isabelle Pousseur porte à la scène le dernier chapitre du roman culte d’Hubert Selby Jr., Last Exit to Brooklyn. Vingt-quatre heures dans la vie d’un immeuble social d’un quartier chaud de New York. Une fameuse tranche d’humanité.

Quand le public entre dans la salle, les dix comédiens -cinq hommes, cinq femmes- sont déjà en place dans le décor composite. Une cuisine, une chambre avec un lit double, une table de salle à manger, un canapé, une fenêtre… Ces bouts d’appartements seront successivement ou même simultanément le logement des différentes familles dont l’intimité est offerte ici. Il y a Mike, au chômage, et sa femme Irene, qui doit s’occuper des courses et des enfants avant de partir au boulot. Il y a Ada, Juive qui vit seule, perpétuant douloureusement le souvenir de son fils et de son mari disparus. Il y a Mary et Vinnie et leurs deux gosses, famille ritale où tout le monde gueule perpétuellement. Il y a Louis et Lucy, qui dirige à la baguette l’éducation de ses deux garçons. Et puis il y a les Afro-Américains, Nancy et Abraham, docker looké comme une star du funk. Autant de ponctions dans les principales composantes de la société américaine, dans un mélange comme on n’en trouve que là-bas. Quoique.

Hubert Selby Jr. a publié Last Exit to Brooklyn, son premier roman, en 1964. Le livre fit scandale, son auteur étant attaqué en justice pour obscénité en Angleterre. Sa traduction fut interdite en Italie. Il faut dire que pour brosser le portrait du quartier qui l’a vu naître, l’écrivain n’y est pas allé par le dos de la cuiller: violences domestiques et guerres des gangs, promiscuité, méchancetés quotidiennes (ces femmes « mécontentes que ce soit fini et que le bébé ne soit pas tombé » du balcon), file traditionnelle devant le magasin de spiritueux une fois que les chèques de l’aide sociale ont été encaissés, et puis le sexe, comme seule réjouissance d’une existence morne.

Car si l’action de cette Coda du roman se déroule pendant exactement 24 heures (quasi trois heures, mini entracte comprise, dans cette version scénique), il s’agit précisément de la période s’étalant entre le samedi matin et le dimanche matin, où le temps est en principe moins réglementé et où l’on peut, surtout, faire la fête! Ce dont ils ne se priveront pas.

Pour donner vie à tout ce petit monde, Isabelle Pousseur a choisi des comédiens capables de se métamorphoser d’une seconde à l’autre. Il faut voir Aline Mahaux passer de bébé rampant à mère autoritaire ou Edoxi Gnoula d’épouse délaissée et battue en gosse à lunette braillard. Utilisant une nouvelle traduction de 2014, la metteuse en scène se permet quelques libertés, anachronismes et anatopismes, pour rendre le roman plus familier. On est ici plus proche des années 70 que de la fin des fifties, avec l’apparition du hip-hop et des tubes de Tina Turner, Patti LaBelle, Barry White ou encore Bruce Springsteen dans l’épatante bande-son. La famille afro parle le moré à la maison, puisque les deux acteurs sont burkinabés. Le tout passe comme un charme, séduisant par son énergie et l’audace de donner chair à une telle fresque littéraire.

Last Exit to Brooklyn (coda): jusqu’au 27 octobre au Théâtre Varia à Bruxelles, www.rideaudebruxelles.be

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