Critique scènes : Enfants de la colonisation

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans son seul en scène Qui est blanc dans cette histoire ?, Raphaëlle Bruneau mêle sa propre expérience de mère d’enfants métis aux lettres de son arrière-grand-oncle missionnaire au Congo-Brazzaville pour secouer les mémoires et les points de vue. Un petit uppercut dans la mâchoire du racisme ordinaire.

Quand le public entre dans la salle de l’Espace Magh, elle est déjà sur scène. Et, devant un portrait de Léopold II, elle danse. Sur du Kanye West. Plus précisément sur Black Skinhead, sorti sur Yeezus en 2013. « They see a black man with a white woman », « Stop all that coon shit »… Le ton est donné, le sujet est planté. Et pour se rapprocher encore plus de son audience, la bande-son enchaîne avec Uman et son Bienvenue en Belgique, « monarchie de pacotille, résidu des colonies et ami de l’Opus Dei ».

Les colonies, Raphaëlle Bruneau y est liée par son histoire familiale, avec un arrière-grand-oncle, père Raphaël dont elle partage le prénom, parti prêcher le christianisme aux enfants du Congo-Brazzaville à la fin du XIXe siècle, dont les lettres envoyées à la famille lui sont parvenues. Elle y est aussi liée par son histoire personnelle, étant en couple avec un Européen racisé et ayant trois enfants métis.

La comédienne mélange ici trois points de vue : le sien, celui d’une femme blanche qui subit « le racisme par voie de conséquence », d’une mère qui, si elle doit laisser son fils ado seul avec les courses, s’empressera d’abord de bien remettre les tickets dans les sacs en cas de contrôle ; le point de vue de son arrière-grand-oncle travaillant « au relèvement des races les plus dégradées », apprenant le latin et des prières à des enfants arrachés à leurs villages ; mais aussi celui d’une petite fille, qu’elle a nommée Sula en référence au roman de Toni Morrison, devant quitter sa famille sur ordre du chef pour rejoindre la mission du prêtre blanc, à douze jours de marche, et dont Raphaëlle Bruneau imagine le parcours et les pensées.

Basculant sans cesse de l’un à l’autre sans perdre le fil, joignant les mains dans ses manches comme dans l’aube du missionnaire, se dressant sur un tabouret pour figurer la petite fille accrochée à la cime d’un arbre, la comédienne réveille, à l’instar du fameux Missie de David Van Reybrouck ou du plus récent Black de Luk Perceval, un passé pas assez présent dans les manuels d’Histoire et dont les relents les plus nauséabonds peuvent resurgir sans crier gare dans les chants de spectateurs éméchés du Pukkelpop. Une invitation salutaire, modeste dans ses moyens mais efficace, à se souvenir et à ouvrir les yeux.

Qui est blanc dans cette histoire ? : jusqu’au 14 février à l’Espace Magh à Bruxelles, www.espacemagh.be

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