Critique scènes: Bovary aujourd’hui

© Danny Willems
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Née sur papier en 1857, prise entre ses rêveries romantiques et l’âpre réalité, Emma Bovary a bien des choses à dire sur la façon dont une femme peut s’accomplir (ou pas) aujourd’hui. Une adaptation solide de Flaubert à voir au KVS.

Les questions d’inégalité et d’abus de pouvoir ravivées par la vague #MeToo invitent à relire le passé avec d’autres lunettes. Certaines oeuvres iconiques prennent ainsi une dimension nouvelle, devenant particulièrement significatives. Ainsi, la metteuse en scène espagnole Carme Portaceli et Michael De Cock, acteur, auteur et metteur en scène à la tête du KVS, se sont emparés de deux personnages féminins tirés de romans-monuments pour un diptyque théâtral : Mrs Dalloway, livrée dans un stream of consciousness par Virginia Woolf en 1928, et Madame Bovary, du classique de Gustave Flaubert de 1857. Les deux titres se recouvrant dans leur manière de souligner l’invisibilisation de leurs héroïnes, qui ne sont pas elles-mêmes dans leur propre nom mais seulement « les femmes de ».

Après un Mrs Dalloway créé à Madrid en 2019 et qui a jonglé avec les contraintes de la pandémie en 2020, voici donc que Bovary débarque en chair et en os au KVS, après une version cinématographique -bien plus qu’une captation- signée Jaco Van Dormael.

Dans l’adaptation du roman par Michael De Cock, deux acteurs tiennent tout le récit de ces « moeurs de province » qui valurent à Flaubert un procès pour immoralité et obscénité : Maaike Neuville dans la peau d’Emma Bovary et Koen De Sutter dans celle de son mari médecin Charles. Avec aussi la présence de la soprano Ana Naqe pour une brève mais intense dose de Donizetti.

Inutile de dire, donc, que c’est du concentré. Mais du concentré qui tourne bien, autour de quelques épisodes marquants -la rencontre chez le père Rouault, la fameuse opération du pied bot Hippolyte…- et d’images fortes -la robe de mariée salie par la terre, l’autel qui se fleurit petit à petit autour du piano. Au-delà de quelques gesticulations superflues, Maaike Neuville réussit à porter les paradoxes de cette jeune femme se mourant d’ennui dans sa vie d’épouse, que la maternité ne comble absolument pas (cette opposition de points de vue sur l’heure du coucher et sur la petite Berthe) et que ni le shopping ni le fucking ne pourront sauver du gouffre. Quant à Koen De Sutter, il parvient à attirer la sympathie voire la compassion pour ce Charles qui fait preuve au final d’un éclair de lucidité dans son aveuglement généralisé. Pour souligner, au-delà du portrait d’une femme impuissante, la difficulté « de se connaître un jour », même en vivant ensemble.

Bovary (en NL surtitré en FR) : jusqu’au 25 juin, puis du 28 octobre au 5 novembre au KVS à Bruxelles, www.kvs.be

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