Astrid Van Impe: « perdre des subsides, c’est comme se faire taper sur les doigts »

Astrid Van Impe, nouvelle directrice du Théâtre 140 © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Après un demi-siècle de Jo Dekmine, Astrid Van Impe prend la direction du 140 alors que ses subventions se trouvent réduites. L’occasion de parler du couple compliqué fric-culture.

Astrid Van Impe, 33 ans depuis le 4 juillet, n’est pas sans rappeler, au physique, Joëlle Milquet, en plus jeune. N’empêche. A la mi-juillet 2015, suite à un avis négatif du Conseil de l’Art Dramatique (CAD), la Ministre Milquet de la culture, en place depuis juillet 2014, annonce son « verdict »: le Théâtre 140 voit sa subvention annuelle (de 600.962 euros) rognée de 5%. Etonnement dans la mesure où, dixit Astrid, « le théâtre tourne, le public vient, la presse aime, et il n’y a aucune raison que cela change. L’argent est une chose, mais symboliquement, c’est un peu lourd, c’est comme taper sur les doigts d’un mauvais élève. »

L’affaire commence en juin 2014 lorsque le CAD -composé de quatorze pros du monde du théâtre- rend l’avis défavorable: celui-ci n’est connu du 140 qu’en décembre de la même année. « Là, avec Jo et Olivier qui s’occupe notamment du développement des partenariats, on est allé voir la ministre Milquet. Elle nous a rassurés et demandé de lui remettre une liste de missions qu’on pourrait remplir dans notre prochain contrat-programme. Notamment d’étendre notre travail de créations étrangères -la première « mission »du 140 depuis ses débuts- à des artistes de la FWB. On nous a fait également comprendre qu’il fallait trouver un successeur à Jo. » Dekmine, né en 1931, est le fin nez qui a fait venir au 140 les Gainsbourg, Pink Floyd et Living Theatre débutants: il est prié de prendre sa retraite après 52 ans d’un parcours explorateur hors-norme. La ministre a peut-être oublié qu’elle venait au même 140 voir des spectacles avec sa mère, merveilles débusquées par Mr Jo. « Cette coupure financière est d’autant plus injuste, enchaîne Astrid, qu’on a répondu aux nouveaux critères de la ministre, ceux qui consistent à « faire bouger les lignes ». J’ai bien l’intention de voir le cabinet Milquet à la rentrée et d’avoir l’occasion de nous défendre. » Quelques jours après la rencontre avec Astrid, un membre du Conseil de l’Art Dramatique de la FWB, Michel Kacenelenbogen, nuancera ceci dit « l’affaire » de Dekmine et des 5% (voir notre dossier).

Malade imaginaire

Astrid, fille d’une classique famille bourgeoise de Chaumont-Gistoux, est attirée par le dessin mais « pas trop assidue à l’école, qui m’emmerdait un peu. Je ne rentrais pas dans le moule et n’avais aucune faculté à me mettre devant. Je brossais facilement les cours mais pas les jours de représentation théâtrale. J’avais envie d’apprendre les faits de société et les bases, comme Shakespeare. Etre comédienne? Non, trop peur d’être mauvaise. » Une fin d’après-midi d’août, dans le 140 vide, Astrid est un rien nerveuse à l’idée de passer au banc médiatique. « Je suis réservée et pas toujours sympathique au premier abord, je n’aime pas la mentalité des gens qui pensent tout savoir », dit-elle. Pas non plus du genre à renoncer. La passion théâtrale lui tombe sur le nez, un jour d’adolescence via le très classique Malade imaginaire de Molière donné à l’Atelier Jean Vilar de LLN. Elle découvre la fibre du comédien, le souffle du verbe, le vertige scénique, sensation différente de la voie scolaire prémâchée, genre études de droit à l’UCL. Elle écoute le rap –« français ou américain, une sorte de pied de nez à mon milieu »-, choisit des études de tourisme et se retrouve à vivre dans la maison familiale avec sa jeune soeur de 17 ans. Elle en a 20 et les parents, divorcés, ne sont plus là. Pas plus que le frère, parti au Brésil. Plus tard, en Erasmus dans une ville anonyme du nord de la Finlande, elle partagera un immeuble avec 80 étudiants: « Je pensais que j’aimais le soleil, la chaleur, et en fait, non: j’adore le froid sec. » Sourire discret mais affirmé: un peu son passeport de vie, tiens.

« J’avais bossé dans une boîte à Wavre qui organisait des séminaires et je ne me voyais pas être à la disposition des clients. J’ai suivi une formation en commerce à Charleroi, et un stage au Manège de Mons, travaillant sur une expo consacrée à l’affiche politique que j’espérais faire tourner, mais je n’ai pas été engagée. Là, j’apprends que le 140 cherche une assistante administrative. Je ne connaissais pas le théâtre de Jo, c’est horrible, c’est triste (…) mais j’ai lu ses éditos et j’ai adoré. On s’est tout de suite bien entendu. » Astrid est embauchée et commence alors, en 2008, une période où elle « veut tout aller voir ». D’abord dans le sillage de Dekmine et puis aussi en roue libre, qui se précise lorsque la co-directrice du 140, Renée Padua, quitte le paquebot. « Jo m’a appris à décrypter le pourquoi, à comprendre ce qui était bon dans les choses même dispensables. J’ai commencé à défendre mon point de vue, à aller au spectacle sans lui. » Lors des séjours d’été à Avignon -grand-messe du théâtre et de la danse-, Astrid voit trois à six shows au quotidien, sur dix-douze jours, sinon c’est 150 fois théâtre par an. Elle adore « la découverte, les codes non utilisés où je dois serrer les dents pour ne pas pleurer ». Cet été, elle a été bouleversée par une pièce qui raconte l’histoire d’une jeune Maghrébine brûlée vive parce qu’elle voulait se marier à un Français. « Là, j’ai envie de partager cette histoire », dit-elle, en rajoutant: « Je ne pense jamais à remplacer Jo, je vois au jour le jour et je savoure. Pourvu que cela dure. Je suis quelqu’un d’assez solitaire mais je profite des compétences de chacun, j’aime que l’on trouve des solutions ensemble, au Théâtre 140. »

L’avenir, c’est aussi travailler en amont avec le Botanique sur des artistes belges (francophones, deal FWB oblige) pour les accueillir en résidence: Ivan Tirtiaux et Karim Gharbi sont déjà au programme de l’avenue Plasky. « Etre de nouveau dans la découverte, comme aux débuts du 140 », précise Astrid, qui va filer au Festival d’Edimbourg débusquer de la qualité, du sens et de la surprise. « Il ne faudrait pas que les arts de la scène ne soient qu’une valeur marchande »

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