[Critique théâtre] Mon élue noire, sacre africain

Germaine Acogny © François Stemmer
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Plus installation-performance que véritable spectacle de danse, Mon élue noire revisite le ballet Le Sacre du printemps avec une seule interprète, la doyenne sénégalo-béninoise Germaine Acogny. Oppressant et politiquement fort.

En plus d’un siècle et depuis son scandale initial, Le Sacre du printemps, ballet de Ninjinski sur une musique de Stravinsky créé à Paris en 1913, a été mis à toutes les sauces. Façon salsa justement, avec des seniors ou des ados, en justaucorps ou en robe légère à bretelle, les pieds dans de la tourbe ou sur une motte de gazon, façon boucherie avec de vrais poulets… En choisissant d’en faire un solo confié à Germaine Acogny, le chorégraphe Olivier Dubois lui confère une dimension politique inédite.

À 73 ans, la pionnière de la danse africaine contemporaine, ancienne directrice de l’école Mudra à Dakar voulue par Maurice Béjart et le Président Senghor, est enfermée dans une vitrine de tulle, exposée comme un spécimen rare. L’espace est réduit, à peine quelques mètres carrés pour bouger. Dans le noir total, Germaine Acogny est dans un premier temps seulement éclairée subrepticement par les flammes de sa pipe qu’elle allume. Elle disparait puis réapparait plusieurs fois, figée dans des poses, notamment poing levé et visage baissé, à la Black Panthers, avant que les quatre angles de sa boîte ne s’allument successivement. La danse arrive, minimale, puis c’est la parole qui survient, évoquant la conquête coloniale et le mépris pour les populations indigènes.

A l’origine, Le Sacre du printemps retrace « une série de cérémonies de l’ancienne Russie », en deux temps: L’Adoration de la terre et Le Sacrifice. Parmi les jeunes filles, une « élue » est choisie pour être offerte au dieu de la nature. Avec une interprète africaine, ce sacrifice humain prend une tournure historique et politique, rappelant comment, à l’échelle mondiale, un continent a été saigné et saigne encore aujourd’hui au profit des autres. A Bruxelles, les artères et les monuments n’auraient pas cette allure sans le Congo de Léopold II. On les regarde autrement en sortant des Halles de Schaerbeek, tandis que l’image de Germaine Acogny disparaissant dans une épaisse fumée blanche nous hante longtemps encore après les applaudissements.

Mon élue noire, vu le 20 mars aux Halles de Schaerbeek, dans le cadre du Focus sur la danse africaine contemporaine qui se poursuit jusqu’au 29 mars. www.halles.be

>> Lire également notre interview de Germaine Acogny.

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