Critique théâtre: Jalousie jalousie

Pauline Discry et William Nadylam dans l'Othello d'Aurore Fattier. © Annah Schaeffer
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Othello se pare de vidéo, d’uniformes militaires contemporains et de costumes de carnaval vénitien dans cette version signée Aurore Fattier qui fait l’ouverture de la saison au Théâtre de Liège.

Othello est sans doute la plus ancienne pièce du répertoire occidental à donner son rôle-titre à un personnage qui ne l’est pas, occidental. En l’écrivant au début du XVIIe siècle, Shakespeare impliquait d’emblée le grimage d’un acteur blanc pour incarner le Maure de Venise que Verdi contribua à rendre célèbre, à une époque où il était impensable qu’un « nègre » monte sur scène (c’est d’ailleurs un des arguments du film Chocolat de Roschdy Zem, avec Omar Sy dans le rôle éponyme du clown cubain).

Othello, dans cette mise en scène d’Aurore Fattier faisant l’ouverture du Théâtre de Liège avant de voyager un peu partout, c’est bien un acteur noir -l’exemple a été donné en 1825, par l’Anglo-Américain d’origine sénégalaise Ira Aldridge-, William Nadylam, Français aux racines camerounaises, réunionnaises et indiennes vu chez Olivier Py et Peter Brook. Mais cela n’empêche pas l’évocation par la vidéo des noircissements de peau de jadis. Nadylam apparaît d’ailleurs dès l’ouverture en clown blanc, dans une ambiance brumeuse de carnaval -nous sommes bien à Venise dans le premier acte-, comme un négatif ironique de la tradition américaine du blackface.

Mais le vrai héros d’Othello, c’est Iago, le vil, l’envieux, le manipulateur, celui qui répandra dans le coeur du général l’irrésistible poison de la jalousie à l’encontre de son irréprochable épouse Desdémone. Iago est ici endossé par la star flamande Koen De Sutter (Montaigne, c’était lui) qui, de son accent rocailleux et de ses yeux malicieux, déclenche les rires du public à chaque trait d’esprit,

du style « leur plus grande vertu n’est pas l’abstinence, mais le secret » (à propos des femmes, bien sûr). Ce qui n’était peut-être pas la volonté du Grand Will dans cette tragédie. Le débat est d’ailleurs en cours depuis l’interprétation frivole d’Edmund Kean au XIXe siècle.

Inattendu, le duo franco-flamand fonctionne plutôt bien, même si l’un et l’autre -était-ce le stress de la première ce dimanche?- butaient régulièrement sur le début de leurs répliques. Évoluant aussi dans le décor, somptueux sans être trop imposant, réalisé par les Ateliers du Théâtre de Liège, la toute jeune Pauline Discry, formée au Conservatoire de Bruxelles, fait une Desdémone très crédible dans son innocence, tandis que Fabien Magry (double de Rachid Benzine dans le récent Pour en finir avec la question musulmane) excelle dans le rôle du pigeon Roderigo. L’ensemble – 3 heures 30, soyez prévenus- tient bien la route en tant que mise au présent du monument shakespearien.

On s’interrogera seulement sur l’utilisation de la vidéo dans les scènes filmées en direct à l’intérieur du container, lors desquelles il ne se passe plus rien sur scène, mais seulement à l’écran. Est-ce encore du théâtre? Telle est la question.

Othello: jusqu’au 05/10 au Théâtre de Liège, du 09 au 12/10 au Théâtre de Namur, du 17 au 21/10 au Grand Théâtre de Luxembourg.

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