Critique scène: L’art, les autres et moi

© Hubert Amiel
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

À travers la danse et une équation à trois composantes, Mauro Paccagnella et Eric Valette interrogent le rapport de l’art à la vie et l’utilité des artistes. (A+X+P) était créé aux Tanneurs en ouverture du D Festival.

A pour artistes. Ils sont quatre professionnels sur scène: Mauro Paccagnella, danseur et chorégraphe, Eric Valette, plasticien et chercheur, Tijen Lawton, danseuse, et Stéphane Broc, vidéaste. Le X n’est pas une initiale, mais représente un groupe de participants à des ateliers artistiques, menés par Mauro Paccagnella avec la complicité des trois autres. Ils forment trois groupes distincts: les seniors de la résidence Sainte-Gertrude, voisine du Théâtre les Tanneurs; des adultes en formation et de jeunes migrants sous la responsabilité de Fedasil. Les X ne sont pas présents sur scène, sinon à travers des extraits sonores, des vidéos et la transmission des gestes, des actions développées dans les ateliers. Et enfin P pour public, dont une dizaine de représentants se sont portés volontaires pour participer à ce « spectacle chorégraphique documentaire », développé dans cet espace entre parenthèses qu’est la scène.

Voilà donc l’équation inhabituelle qui est mise sur pied dans ce spectacle hors norme, riche en réflexions, adressé directement au public à la manière d’une conférence, en une suite de tableaux très divers. Il y a des séquences de danse, solos, duos, danses de groupe, lentes ou entraînantes (celle menée par Stéphane Broc, par exemple). Il y a des témoignages, donnés en sons et en images, comme celui d’Annie, racontant sa découverte de la danse classique quand elle était enfant, discipline qui reste présente, malgré le passage des années, dans son corps âgé, dans ses mains ridées. Il y a des moments théoriques, comme cette présentation du « paradigme du care« , parti du constat que le soin, l’attention à l’autre avaient été relégués uniquement dans la sphère privée, et plutôt réservés aux femmes.

Et puis il y a cette question qui traverse l’ensemble: celle de la légitimité sociale de l’artiste, opposée à sa légitimité purement « artistique ». « Je crois que je suis tellement sollicité pour des ateliers de danse que je pourrais ne plus faire que ça », déclare Mauro Paccagnella. L’activité artistique « doit-elle se justifier par d’autres fonctions », interroge Eric Valette. Est-ce à l’artiste de combler les trous de sollicitude pour maintenir la paix sociale? L’art subsidié doit-il fournir un retour sur investissement? L’artiste doit-il démontrer une utilité, une efficacité mesurable en paramètres? Une interrogation fondamentale, sur ce que la société se pose elle-même comme bases.

À travers ce questionnement, (A+X+P) établit aussi une démonstration: celle que tout le monde, tous âges, origines, langues, aptitudes confondus, danse, ou du moins peut danser et danser ensemble. Et cela, ça fait quand même du bien de le rappeler, de temps en temps.

(A+X+P): vu le 27 avril au Théâtre les Tanneurs, dans le cadre du D Festival qui se poursuit jusqu’au 4 mai, www.lestanneurs.be

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