Underworld USA – En 1956, Lionel Rogosin signait On the Bowery, un manifeste pour un cinéma libre, indépendant et engagé qu’allaient suivre Come Back, Africa et Good Times, Wonderful Times.

Trois films de Lionel Rogosin, 1956 à 1965, Ed. Carlotta, Dist: Twin Pics.

Poursuivant la remontée aux sources du cinéma indépendant américain entamée avec Little Fugitive et d’autres £uvres de Morris Engel, Carlotta édite un coffret regroupant les 3 premiers longs métrages, restaurés, de Lionel Rogosin. S’il est largement oublié aujourd’hui, ce réalisateur new-yorkais, disparu en l’an 2000 à l’âge de 76 ans, n’en fut pas moins l’un des pionniers d’un cinéma aspirant à se libérer du carcan hollywoodien; un auteur à l’impact considérable, dont un John Cassavetes n’hésita pas à déclarer qu’il était « probablement le plus grand documentariste de tous les temps.  »

De l’approche toute personnelle de Rogosin, On the Bowery, son premier long métrage, qu’il réalisa à New York en 1956, offre l’éclatante démonstration. Se réclamant de Robert Flaherty et du néo-réalisme italien (De Sica en particulier, dont il cite Le voleur de bicyclette), l’auteur inscrit une fiction minimaliste dans un horizon documentaire. Sa caméra accompagne Ray, un cheminot de retour sur le Bowery, que l’on suit bientôt de bar en bar, partageant le sort d’oubliés de la vie dont l’avenir réside, le plus souvent, dans le fond d’un verre de vin qu’ils cuveront à même le pavé. Soulignée par un noir et blanc somptueux, la vision de Rogosin cerne la réalité au plus près, en une forme de cinéma vérité à la fois cru et rageur dans son expression, et humaniste dans ses intentions. Non sans trouver les accents d’une stupéfiante inspiration -le plan final, sur des visages ravagés par l’alcool, vaut plus que de longs discours. La qualité du regard de Rogosin, on la retrouve dans Come Back, Africa, film qu’il tourne en Afrique du Sud en 1959. La caméra (cachée) suit cette fois Zacharia, un paysan ayant dû laisser femme et enfants dans son Zoulouland natal pour tenter sa chance à Johannesburg. Brimades et vexations à caractère raciste sont bientôt le lot quotidien d’un homme au statut précaire, essuyant de plein fouet les méfaits de l’apartheid et de la misère. Au-delà de la dénonciation d’un régime, la photographie de la réalité sud-africaine d’alors est d’autant plus précieuse que sans véritable équivalent. De la rue aux bars clandestins des townships, Rogosin donne la parole aux opprimés, non sans saluer l’éveil d’une conscience politique affûtée. Le film, où apparaît par ailleurs Miriam Makeba, est rien moins qu’essentiel.

Valeur historique

Réalisé à Londres dans l’effervescence des années 60, Good Times, Wonderful Times apparaît plus discutable dans sa forme. Rogosin y oppose, dans un montage alterné, la superficialité de participants à une party branchée, aux images d’archives dénonçant les horreurs de la guerre, qu’il s’agisse des ravages provoqués par la bombe A à Hiroshima ou de ceux du front de l’Est. Plus que l’efficacité revendiquée, c’est ici la naïveté du procédé qui saute aux yeux -45 ans se sont écoulés, en effet, et si le message n’a rien perdu de son acuité, sa formulation apparaît pour le moins plombée. Ce qui n’ôte rien, du reste, au prix historique d’un film complétant un coffret qui, de précieux bonus et interviews à l’appui, invite judicieusement à la (re)découverte d’un auteur dont l’engagement sut trouver une expression aussi singulière que novatrice. l

Jean-François Pluijgers

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