Critique | Cinéma

Viola Davis est The Woman King

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Film de guerre doublé d'un assez démonstratif récit d'émancipation, The Woman King regorge de scènes d'action spectaculaires qui tendent vers un certain réalisme. © National
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Titre - The Woman King

Genre - Fiction historique

Réalisateur-trice - Gina Prince-Buthewood

Casting - Avec Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch

Durée - 2h14

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

La réalisatrice afro-américaine Gina Prince-Bythewood signe une épopée historique à la gloire des Agojie, femmes guerrières qui protégèrent le royaume du Dahomey en Afrique de l’Ouest au XIXe siècle.

Depuis plus de 20 ans, elle se bat pour imposer à l’écran des personnages marquants de femmes issues de la communauté afro-américaine. En 2000, Love & Basketball, son premier long métrage, est produit par Spike Lee et génère un petit culte outre-Atlantique. Depuis, elle a fait tourner Queen Latifah et Alicia Keys dans The Secret Life of Bees (2008), Gugu Mbatha-Raw dans Beyond the Lights (2014) ainsi que KiKi Layne dans The Old Guard aux côtés de Charlize Theron… Réalisatrice californienne initialement formée à la télévision, Gina Prince-Bythewood se réclame aujourd’hui de productions épiques comme Le Dernier des Mohicans, Braveheart ou encore Gladiator pour The Woman King, son nouveau long métrage, très classique récit d’apprentissage sur fond de spectaculaire lutte armée.

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Centré autour de la générale Nanisca (Viola Davis – lire son portrait dans l’encadré ci-dessous), qui entraîne des jeunes recrues afin de les préparer à affronter un ennemi déterminé à détruire leur mode de vie, le film retrace l’histoire méconnue des Agojie, une unité de guerrières amazones du XIXe siècle ayant œuvré à la défense du royaume du Dahomey (actuel Bénin). Né d’une idée en 2015 de l’actrice Maria Bello (la série Urgences, A History of Violence de David Cronenberg), The Woman King a mis sept ans à se concrétiser, les studios et producteurs hollywoodiens s’étant d’abord montrés particulièrement réticents à l’idée de financer une grosse production au casting majoritairement noir et féminin…

La reine Viola (portrait)

Actrice tout-terrain légitimement célébrée sur la scène internationale, Viola Davis s’est battue pour que The Woman King voie le jour.

Comédienne incroyablement complète, qui s’est aussi bien illustrée au cinéma qu’au théâtre et à la télévision, Viola Davis est la première actrice afro-américaine de l’Histoire à avoir décroché à la fois un Oscar, un Golden Globe, un Tony et un Emmy Award. Longue comme le bras, sa filmographie parle pour elle: Far from Heaven de Todd Haynes, Solaris de Steven Soderbergh, The Help de Tate Taylor, Fences de Denzel Washington, Widows de Steve McQueen… Sa réussite n’avait pourtant rien d’une évidence: née au milieu des années 60 dans la ferme de sa grand-mère, une ancienne plantation de Caroline du Sud où des esclaves avaient été exploités, elle a grandi au sein d’une famille très pauvre avant de tailler sa route au forceps dans les milieux universitaires puis audiovisuels.

C’est en septembre 2015 que l’actrice Maria Bello, aux côtés de laquelle elle apparaissait dans le Prisoners de Denis Villeneuve, pitche l’idée de The Woman King à Viola Davis. Il aura donc fallu sept longues années pour que le projet, qu’elles produisent aujourd’hui en partie toutes les deux, se concrétise enfin. Davis y tient crânement le rôle principal, celui de la générale Nanisca, leader charismatique des Agojie, femmes guerrières qu’elle forme sans relâche dans le but de protéger le royaume du Dahomey. Quand on la joint via Zoom un après-midi de septembre, elle insiste sur l’aspect exigeant et physique de ce rôle et du tournage du film, en précisant que “s’entraîner avec acharnement tous les jours en guise de préparation l’a aidée à comprendre spirituellement qui étaient vraiment les Agojie”. Et d’ajouter dans la foulée: “Ma responsabilité en tant qu’actrice est d’incarner un personnage de la manière la plus honnête et la plus généreuse possible. J’ai avant tout essayé de rendre Nanisca profondément humaine. Parce que si l’on fait fi de toutes ses responsabilités, à la fin de la journée, elle est juste une femme qui essaie de survivre.

Quand elle évoque la patience et la détermination qui ont été nécessaires pour convaincre différentes sociétés de production américaines d’investir dans The Woman King, elle déclare: “Je savais, bien sûr, qu’un film avec un casting entièrement dominé par des femmes noires allait terrifier Hollywood. Mais je savais également qu’il était important d’aller au bout de ce combat. Nos existences de femmes noires sont pavées d’obstacles depuis notre naissance. Et je pense qu’aujourd’hui, il relève de notre responsabilité de rendre le chemin un peu moins difficile pour celles qui nous suivront. Toni Morrison avait pour habitude de dire qu’une fois que vous êtes libre ou que vous vous êtes libérée vous-même, votre job est d’aider quelqu’un d’autre à se libérer. Je crois beaucoup à ça. Si vous vous contentez de souscrire au récit dominant, vous contribuez à le légitimer. L’histoire des Agojie et du royaume du Dahomey peut sembler surprenante aujourd’hui, mais si vous creusez un peu, vous constaterez que ce n’est pas une histoire unique en son genre. D’autres exemples de fonctionnements matriarcaux de ce type ont existé dans l’Histoire, notamment en Afrique. Et je suis convaincue qu’en parler peut contribuer à éveiller les esprits et sensibiliser les mentalités.

Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce projet?

Quand le scénario est arrivé dans mes mains, Viola Davis était déjà attachée au projet. Donc j’étais très excitée à l’idée de le lire. Je ne savais absolument rien sur ce film si ce n’est qu’il était centré autour de femmes guerrières, ce qui me semblait assez inédit. Très vite, je me suis sentie profondément connectée à ce récit. J’avais le sentiment de connaître ces femmes et l’intuition qu’à travers elles j’allais pouvoir raconter une histoire qui ne l’avait jamais été auparavant. J’aimais l’idée que toute la toile de fond du récit était historiquement authentique. Il faut savoir que je raffole vraiment des épopées historiques. J’adore être plongée dans un monde et une culture avec lesquels je ne suis pas familière. Braveheart est pour moi le modèle du genre. C’est assurément l’un de mes films préférés au monde. Tout comme Gladiator. J’ai ressenti comme un honneur et un vrai privilège d’avoir l’opportunité de raconter une histoire de ce genre en me focalisant sur des personnages de femmes noires ayant réellement existé.

Vous n’aviez jamais entendu parler du Dahomey avant de lire ce scénario?

Je n’avais absolument jamais entendu parler de ce royaume. La seule connaissance que j’avais à propos de ces femmes était la lecture d’un article au moment de la sortie du film Black Panther qui disait que les Dora Milaje, ce groupe d’élite de guerrières qui servent de forces spéciales pour la nation africaine fictive du Wakanda dans le film, étaient inspirées de femmes qui avaient réellement existé par le passé en Afrique de l’Ouest. Mais à part ça, il faut quand même bien dire qu’aux États-Unis on ne nous apprend pas grand-chose d’autre que l’Histoire de l’esclavage… En tant qu’Afro-Américaine, je trouve ça terriblement préjudiciable que notre Histoire ne nous soit pas enseignée correctement. J’ai donc entrepris moi-même un certain nombre de recherches. Et je me réjouis qu’aujourd’hui à travers ce film des millions de personnes découvrent l’existence de tout un pan caché de leur Histoire.

Viola Davis se plaît à déclarer qu’en lisant le scénario de The Woman King, elle a eu le sentiment que toute sa condition de femme noire se trouvait en un sens résumée au cœur de cette histoire. Diriez-vous la même chose?

Oui, absolument. C’est une chose assez incroyable d’enfin pouvoir se reconnaître soi-même pleinement dans une histoire. Et plus que ça: pouvoir se contempler soi-même en héroïne d’une histoire. En tant que femme noire, je peux vous dire que ce n’est pas quelque chose qu’on a souvent l’occasion d’expérimenter, au cinéma comme à la télévision. Or, c’est vraiment quelque chose d’essentiel et d’inspirant de pouvoir se projeter dans un personnage positif et puissant. Je pense par ailleurs qu’il est très important que le monde puisse nous voir sous cet éclairage-là également. L’image, en effet, et la représentation peuvent contribuer à faire évoluer la perception globale des gens sur les choses.

© National

Pensez-vous qu’aujourd’hui le cinéma a un vrai rôle à jouer en termes d’inspiration pour les jeunes générations?

Complètement. Vous savez, je suis la mère de deux petits garçons. Je me souviens d’avoir été au cinéma pour voir Black Panther avec eux, et je peux vous dire que la façon dont ils ont quitté la salle, avec la poitrine gonflée de fierté, ça n’a pas de prix. C’était vraiment incroyable de les voir ressentir ce qu’ils ont ressenti en regardant ce film. Non seulement ils étaient fans du personnage de Black Panther, mais ils étaient aussi fans de Killmonger, son ennemi juré. Ils semblaient tellement inspirés par ces deux héros… Que dire de plus si ce n’est que je veux la même chose aujourd’hui pour les jeunes filles noires.

Ça fait plus de 20 ans désormais que vous placez les minorités au cœur de votre cinéma, avec des personnages forts issus de la communauté afro-américaine. Avez-vous, à cet égard, constaté un réel changement de paradigme au sein de l’industrie cinématographique ces dernières années?

J’observe un changement progressif, c’est un fait. Il y a davantage de diversité aujourd’hui, aussi bien devant que derrière la caméra. Il suffit de regarder quelques-unes des sorties majeures de l’année cinéma en cours: Nope de Jordan Peele cet été, The Woman King aujourd’hui, la suite de Black Panther de Ryan Coogler qui arrive dans les prochaines semaines ou encore Till de Chinonye Chukwu, qui racontera l’histoire vraie d’un adolescent lynché dans le Sud ségrégationniste des années 50 pour avoir flirté avec une femme blanche… Donc oui, cette diversité existe aujourd’hui. Mais là je ne peux vous citer que quatre films au milieu de plusieurs centaines de sorties. Disons qu’il reste encore pas mal de travail à faire (sourire).

Viola Davis (au centre) emmène un casting tout en physicalité.
Viola Davis (au centre) emmène un casting tout en physicalité. © National

Diriez-vous de votre cinéma qu’il est avant tout politique?

Il est très important pour moi de continuer à faire des longs métrages qui soient amusants à regarder, qui fassent passer un bon moment au public. Mais disons qu’il me tient particulièrement à cœur que mes films véhiculent aussi un message important. Et ces deux aspects ne sont absolument pas contradictoires. Avec mon mari (Reggie Rock Bythewood, réalisateur et producteur qui a notamment signé le scénario du biopic Notorious, NDLR), notre mantra est vraiment de faire un cinéma qui soit à la fois divertissant et politique, qui plaise de manière très spontanée tout en contribuant à faire évoluer les mentalités.

The Woman King est un film bourré de scènes d’action qui tendent vers un certain réalisme. Comment avez-vous abordé ces séquences?

Il s’agit au fond d’un vrai film de guerre. Je tenais donc absolument à filmer de manière crue et authentique, pour qu’on y croie vraiment. Et pour cela, j’avais notamment besoin de comédiennes capables d’assurer leurs propres cascades et leurs propres scènes de combat. Je ne voulais pas avoir à chipoter au montage ou en post-production pour camoufler le fait qu’il y avait des doublures à l’écran. Il s’agissait vraiment d’immerger les spectateurs au cœur même de l’action, sans rien qui puisse contribuer à les en faire sortir. À mon sens, une bonne scène d’action repose avant tout sur une bonne histoire et des personnages bien construits, mais aussi sur des performances convaincantes. C’était aussi pour moi une manière de célébrer les aptitudes physiques et athlétiques de ces femmes. Ces guerrières du XIXe siècle étaient incroyablement costaudes, rapides et endurantes. Elles étaient également suffisamment intelligentes pour utiliser leur féminité comme un avantage dans les combats: leur morphologie, leurs ongles, leur résistance à la douleur… J’avais envie de montrer que la féminité n’est pas une faiblesse.

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