Sean Connery: le diamant n’était pas éternel

Docteur No, qui impose une esthétique raccord avec un James Bond à la virilité décontractée, sera un triomphe. © getty images
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Disparu le 31 octobre à l’âge de 90 ans, Sean Connery était mieux que le premier et définitif James Bond: une légende. Hommage.

« Bond. James Bond ». Il n’aura fallu qu’une petite phrase, prononcée pour la première fois à l’adresse d’Eunice Gayson dans Doctor No, en 1962, pour faire de Sean Connery une légende du cinéma et une icône du XXe siècle. 007, l’espion imaginé par Ian Fleming, l’acteur écossais, disparu le 31 octobre à l’âge de 90 ans, devait l’interpréter une demi-douzaine de fois dans la décennie à suivre, en devenant l’incarnation définitive. Avant de se repiquer au jeu, en 1983, pour Never Say Never Again, manière ironique et élégante de rompre avec un rôle dont la notoriété inoxydable avait fini par le déborder, le public ne le différenciant plus d’un personnage auquel il avait apporté un charisme teinté de machisme – le produit d’une époque aujourd’hui assurément révolue.

Impérial 007

Né avec les années 1930 à Edimbourg, Sean Connery grandit dans un milieu modeste, multipliant les petits boulots – livreur de lait, apprenti boucher… – avant de s’engager dans la marine britannique à l’âge de 17 ans. Son curriculum vitæ mentionne encore la pratique du culturisme et une participation au concours de Mister Universe, ainsi que d’incontestables dispositions pour le football – Matt Busby ira jusqu’à lui proposer un contrat à Manchester United, à quoi le jeune homme préférera toutefois le métier d’acteur.

Les débuts sont timides, avant qu’en 1961, le London Express n’organise un concours afin de désigner l’acteur idéal pour interpréter James Bond, le plus célèbre agent secret de Sa Majesté. La légende est en marche, Connery émergeant devant six cents candidats, et non des moindres puisqu’il y avait notamment au nombre David Niven, même s’il n’a pas les faveurs d’un Ian Fleming qui, bien vite, se ravisera. Et pour cause, Docteur No, qui impose une esthétique raccord avec son héros à la virilité décontractée, est un triomphe. Le succès ne s’est d’ailleurs pas démenti avec le temps, la franchise étant l’une des plus rentables de l’histoire du cinéma, ce que ne devrait pas manquer de souligner une fois encore No Time to Die, le vingt-cinquième volet de la saga, attendu en avril prochain après plusieurs reports successifs pour cause de pandémie.

S’il est impérial sous les traits de 007 de Goldfinger à Diamonds Are Forever – « Il a révolutionné le monde avec son portrait cruel et spirituel de l’agent secret sexy et charismatique », l’ont salué les producteurs Barbara Broccoli et Michael Wilson -, Sean Connery a, de toute évidence, envie d’aller voir plus loin que les Martini et les Bond Girls qu’il aligne pourtant avec une constance et une classe inébranlables. On le retrouve ainsi, dès 1964, face à Tippi Hedren dans Marnie, d’Alfred Hitchcock, avant qu’il n’entame, l’année suivante, une fructueuse collaboration avec Sidney Lumet par La colline des hommes perdus – ils tourneront une demi-douzaine de films ensemble, l’acteur s’imposant dans un registre dramatique.

Retour à Nassau

On le retrouve encore, au début des années 1970, devant la caméra de John Boorman pour l’étonnant Zardoz, et bientôt celle de John Huston pour L’Homme qui voulut être roi, épatante transposition de Kipling où son association avec Michael Caine fait des étincelles. Dix ans plus tard, en 1986, son interprétation de Guillaume de Baskerville, le moine enquêteur du Nom de la rose, adapté par Jean-Jacques Annaud d’Umberto Eco, vient relancer sa carrière, Connery obtenant dans la foulée l’Oscar du meilleur second rôle pour Les Incorruptibles, de Brian De Palma, avant d’incarner le père d’Indiana Jones dans Indiana Jones et la dernière croisade, de Steven Spielberg – comme un passage de témoin. Si ses apparitions se font plus rares, l’autorité naturelle et la prestance, elles, ne se démentent pas, qu’il se prête à une aventure de Jack Ryan (A la poursuite d’octobre rouge, de John McTiernan) ou qu’il donne la réplique à Michelle Pfeiffer dans une adaptation de John Le Carré (La Maison Russie, de Fred Schepisi); qu’il campe le roi Arthur dans Lancelot, de Jerry Zucker, ou qu’il joue avec son image dans The Rock, de Michael Bay. Voire, enfin, qu’il tienne dans le généreux Finding Forrester, de Gus Van Sant, l’un de ces rôles de mentor (inspiré de Salinger pour le coup) qui lui allaient si bien. Le chant du cygne pour Sean Connery qui décide trois ans plus tard, en 2003, de tirer sa révérence après un The League of Extraordinary Gentlemen n’ayant pas laissé de souvenirs impérissables, il est vrai.

Absent des écrans depuis lors , l’acteur n’aura pas pour autant totalement disparu de la vie publique, Ecossais jusqu’à la pointe de l’accent, et ne ratant à ce titre aucune occasion de soutenir la cause nationaliste. Et cela, même s’il vivait depuis de nombreuses années à Nassau, aux Bahamas, améliorant son handicap au golf là même où il tournait Thunderball, la quatrième aventure de James Bond, au mitan des sixties. Manière, somme toute, de boucler la boucle.

En paroles

C’était en 1995. Par un après-midi d’été, on retrouvait Sean Connery au Savoy, à Londres, où l’acteur s’acquittait de la promotion de First Knight (Lancelot), de Jerry Zucker où il campait le roi Arthur. L’occasion aussi de donner quelques clés de son parcours.

Les répétitions. « J’aime répéter avec mes partenaires, savoir de quoi il va retourner. Pour L’Homme qui voulut être roi, Michael Caine et moi avions pris l’habitude de répéter chaque scène ensemble avant de tourner. La familiarité qui s’est créée a incontestablement apporté un plus au film. C’est comme les répétitions au théâtre ou pour les TV Specials, quelque chose que l’on ne retrouve pas assez au cinéma. C’est pourquoi j’apprécie travailler avec Sidney Lumet: on prend deux semaines pour passer la totalité du scénario en revue, et il n’y a pas de surprise au moment du tournage. »

L’autocritique. « La plupart des acteurs pratiquent l’autocritique. Quand mes petits-enfants viennent faire de la voile, ils prennent toujours des vidéos qu’ils regardent le soir. Parfois, ce sont des films dans lesquels je joue, il m’arrive d’y jeter un coup d’oeil, et je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais pu faire beaucoup mieux. C’est la différence essentielle entre le cinéma et le théâtre: au théâtre, il n’y a pas de reflet du résultat, mais au cinéma, quand vous êtes mauvais, vous le restez. »

Bond. « Pierce Brosnan me semble être un bon choix, il a un excellent timing. Mais je pense surtout que Bond aurait besoin d’un auteur vraiment original, quelqu’un comme Tarantino qui lui donnerait une nouvelle substance. Bond devrait être repensé après avoir reposé sur le même moule pendant trente ans. »

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