« Poetry » de Lee Changdong: c’est comment, là-bas?

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Film à la beauté pure, « Poetry », de Lee Changdong, charrie les émotions les plus intenses en même temps qu’il questionne notre rapport au monde, à travers le regard d’une élégante sexagénaire confrontée à l’indicible, ou pas. Un authentique chef-d’oeuvre.

On entre dans Poetry comme dans un rêve, guidé par un son, d’abord, celui de l’eau d’une rivière, que l’on découvre ensuite, avec à son côté des enfants qui s’affairent de toute éternité, animation que suspend bientôt l’apparition du corps d’une fillette, dérivant à la surface: le début d’un voyage fascinant autant que bouleversant, que viendra refermer, quelque deux heures plus tard, et ponctuant un mouvement d’une exceptionnelle fluidité, une même vision du fleuve.

Entre-temps, on a découvert Mija, une femme portant la soixantaine élégante, aide-soignante à domicile élevant par ailleurs seule son petit-fils, Wook, un ado indifférent et ingrat. Souffrant d’un début d’Alzheimer, et sa mémoire butant régulièrement sur des mots d’usage courant, Mija n’en a pas moins décidé de s’initier à la poésie, activité qui a le don de la sortir de sa routine et de lui faire reconsidérer son environnement d’un oeil nouveau. Guettant la beauté jusque dans ses expressions les plus insignifiantes en apparence, elle voit toutefois son univers vaciller lorsqu’elle apprend que Wook a participé au viol collectif d’une fillette, celle-là même entrevue dans la scène d’ouverture.

Absolue beauté

Au coeur de Poetry, il y a donc le parcours de cette femme, dont la candeur se heurte de plein fouet à la violence et aux vicissitudes du monde. Confrontée à un dilemme moral qui semble la dépasser, la voilà qui avance à tâtons, mais obstinée néanmoins, arrimée à son désir d’écrire un poème, et de découvrir sa vérité au-delà.

Un chemin tortueux, certes, que Lee Changdong filme avec une appréciable pudeur, là où Yun Junghee, exceptionnelle, lui confère grâce feutrée et mélancolie frémissante. Toute de finesse et de lumineuse sobriété, la prestation de cette dernière, star du cinéma coréen des années 60 et 70 tombée depuis dans l’oubli, est l’âme d’un film d’une douloureuse intensité, mais aussi d’une profonde et absolue beauté. S’étoffant et s’évidant au gré d’une narration sinueuse parsemée de stimulantes rimes visuelles, Poetry réussit en effet à parler au coeur autant qu’à l’esprit, convoquant les émotions les plus puissantes en même temps qu’il questionne notre rapport au monde qui nous entoure.

C’est là le prix, universel, de ce poème en forme de rêve de cinéma, mélodrame culminant dans un final proprement déchirant non sans affirmer sa foi en la poésie et l’humanité, en contrepoint d’une réalité cruelle.

Prix du scénario lors du dernier festival de Cannes, Poetry n’eut certes pas usurpé mieux encore; on quitte le film de Lee Changdong bouleversé par l’émotion qu’il dispense et les horizons qu’il aborde, autant que transporté par la contemplation de ce que l’on ne saurait mieux qualifier que de chef-d’oeuvre (ce qui se dit « Geol-Jak » en coréen…).

Poetry, de Lee Changdong, avec Yun Junghee, Lee David, Kim Hira. 2h19.

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Jean-François Pluijgers

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