Michel Gondry: « Démontrer qu’on peut fabriquer soi-même ses propres distractions »

Michel Gondry dans son Usine de films amateurs. © ISOPIX/Bernard Bisson/SIPA
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Jusqu’au 15 novembre, la Condition Publique, à Roubaix, se transforme en Usine de films amateurs. Retour avec Michel Gondry, son initiateur, sur ce génial projet de cinéma communautaire en mode Be Kind Rewind.

A droite: une caravane vintage, un bar à kebab, une décharge, un pont, un camping et une installation miniature pour les promenades en voiture. A gauche: un magasin de tissus roubaisien, une rame de métro lillois (des images de paysages défilant aux fenêtres pour créer l’illusion) et une chambre mortuaire (avec possibilité de s’installer dans le cercueil)… Bienvenue dans les imposants bâtiments de La Condition Publique, ancienne usine de stockage et de conditionnement textile devenue depuis une quinzaine d’années manufacture culturelle et, pour un mois et demi, jusqu’au 15 novembre, fabrique cinématographique. Après New York, Tokyo et Moscou, São Paulo, Johannesburg, Casablanca et… Cannes, c’est à Roubaix que le réalisateur, artisan et poète Michel Gondry a fait construire sa nouvelle Usine de films amateurs.

Jeans, veston, baskets. La tête en l’air et les mains dans les poches, le cinéaste bricoleur se promène avec délectation dans la vingtaine de décors conçus et réalisés, sous sa surveillance à distance, par des étudiants locaux en design de l’espace. Le concept de l’Usine est aussi simple que génial: permettre à Monsieur et Madame Tout-le-Monde de créer gratuitement en trois heures montre en main leur propre petit film avec une dizaine d’inconnus (réservation conseillée). Le tout selon un protocole simple imaginé par le réalisateur d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind et dans des studios (temporaires pour l’instant) spécialement fabriqués pour l’occasion. Dans l’Usine à films de Gondry, système autogéré, on se trouve ensemble un genre, un titre, une histoire. On filme les scènes dans l’ordre, sans rembobinage ni postproduction. Et on regarde le résultat dans la foulée non sans avoir dessiné une jaquette de DVD. Attristé par les trop nombreuses salles obscures démolies ou transformées en discothèque dans son quartier, le Parisien avait déjà pensé dans les années 80 à une forme de cinéma communautaire mais sans la concrétiser. Son idée? Réinvestir un de ces lieux et y tourner des films avec pour seul budget le préachat des tickets. Peu importerait le sujet, la qualité et la durée des films. Les spectateurs en seraient aussi les acteurs. « Tant qu’on est dedans, cela vaut le prix du billet! »

L'Usine de films amateurs de Michel Gondry
L’Usine de films amateurs de Michel Gondry© Édouard Lionet

A quel moment cette Usine de films amateurs s’est-elle ancrée dans la réalité pour vous?

L’idée me trottait dans la tête depuis des années et Be Kind Rewind m’a servi de banc d’essai. Nous y proposions évidemment les films suedés (les remakes artisanaux bricolés, NDLR) de Mos Def et de Jack Black mais nous avions aussi invité les habitants de Passaic, ville assez pauvre du New Jersey où nous nous étions installés, à tourner les leurs. On leur doit ce film final sur Fats Waller, en noir et blanc, monté dans ces conditions amateurs et bric-à-brac. Quand ils ont regardé pour la première fois ce qu’ils avaient réalisé et que j’ai vu leurs visages s’illuminer de satisfaction, de fierté, d’amusement, de joie, face à ce travail qu’ils avaient réalisé en commun et de manière autonome, je me suis dit qu’il fallait que je poursuive cette expérience en dehors du cinéma. Sans le prétexte d’un film. J’ai compris que ça marchait.

Vous avez notamment puisé votre inspiration dans le jazz et le reggae…

En Jamaïque, comme on le voit dans Studio One Story (documentaire sur le label jamaïcain, NDLR) il arrivait souvent qu’on enregistre les morceaux le matin, qu’on les presse l’après-midi et qu’on les joue le soir sur la plage. Quelque chose de très immédiat que je trouve particulièrement réjouissant. Quant aux rent parties, c’est ce qu’organisaient les habitants d’Harlem quand ils n’avaient pas de quoi payer leur loyer: ils mettaient sur pied des fêtes et montaient les pianos dans les appartements où pouvaient s’affronter de très grands musiciens. Ils faisaient la fiesta toute la nuit et en même temps chacun glissait son dollar pour leur logement. Des expériences humaines simples et spontanées.

L'Usine de films amateurs de Michel Gondry
L’Usine de films amateurs de Michel Gondry© Édouard Lionet

Vous avez l’air de chérir l’amateurisme. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette posture, et comment en conserver quelque chose dans des projets hollywoodiens?

L’amateurisme n’est pas volontaire dans le cas des Usines: il est inhérent au concept pour lequel on demande à des gens de réaliser un film en trois heures. On n’invite pas vraiment les visiteurs à faire du cinéma. J’insiste: l’Usine n’est pas une école. Je lis toujours ou presque: « Apprenez à faire des films avec Michel Gondry. » Or, je n’ai pas du tout la prétention ni l’intention d’apprendre aux gens à faire du cinéma. Déjà, je ne sais pas si je sais en faire moi-même. Le but premier de ce projet est de tisser du lien. De rassembler des énergies autour d’un travail commun. De démontrer que n’importe quelle personne, quel que soit son âge, son origine ou son milieu social, peut faire preuve d’imagination. Ces Usines de films amateurs permettent à la créativité de s’exprimer et sont la preuve que cette créativité existe. En ce qui concerne mes films, je ne sais pas. J’aime quand on voit comment les choses sont faites, même si cet aspect bricolage peut être un peu trop récurrent. Perso, quand on sent que les plans ont pris une demi-journée à être tournés, ça me fait penser à de la publicité… Mais vous savez, plus on a de moyens, plus on a tendance à greffer un aspect politique à la fabrication des films. Dès qu’on engage des sommes importantes, le rapport avec la production et le public devient contraignant.

Les participants ne se sont jamais étripés pendant la création de ces films amateurs?

J’ai élaboré un protocole très précis au fil des années. Un protocole qui permet à chacun de s’exprimer. Lors de la première expérience, à New York, en 2008, certains sont arrivés avec leur script et leur story-board et essayaient de les imposer. Ils se sont fait virer avec un coup de pied aux fesses. J’ai pas mal réfléchi dès le départ pour m’assurer que personne ne prenne le dessus et garantir ce travail et cet esprit d’équipe. Au final, on ne donne d’ailleurs qu’une seule copie du film -pas une VHS, un DVD quand même. Mais ça oblige les gens à rester en contact et ça contribue à créer des groupes qui restent unis autour de ces petits films. Nous les conservons tous précieusement et envisageons un documentaire mais je n’en regarde plus énormément. Au moment où les participants découvrent leur film, je préfère me tourner vers eux et voir leurs expressions que vers l’écran pour regarder le résultat. Il n’est pas forcément magistral. Parfois, il est même catastrophique. Il a toutefois une valeur pour ceux qui l’ont tourné. L’idée est quand même aussi de démontrer qu’on peut fabriquer soi-même ses propres distractions.

L'Usine de films amateurs de Michel Gondry
L’Usine de films amateurs de Michel Gondry© Édouard Lionet

Pourquoi vous être installé à Roubaix?

Je n’ai pas choisi. On va là où on nous appelle. Mais c’est une ville qui m’intéresse. Une ville qui a un passé très riche avec une transformation récente, nécessaire après l’effondrement industriel des années 70. Certaines villes sont plus nanties que d’autres. Je ne les rejette pas: j’en suis issu. Mais autant mettre ces outils à disposition de ceux qui en ont le plus besoin. Au Brésil, certaines personnes n’avaient jamais vu de films de leur vie. Ils ont inventé leur propre cinéma et c’était passionnant.

Vous vous souvenez, vous, du tout premier film que vous avez tourné?

Je pense qu’on avait emprunté la caméra de mon oncle. Et qu’on s’était déguisés en Superman avec mon cousin. On avait filmé une image toutes les dix secondes. Et on nous voyait courir à toute vitesse le long d’une route de campagne. On utilisait une machine existante et on la détournait pour fabriquer notre petit effet spécial.

Peu de films réalisés à l’Usine figurent sur le Net…

Oui et c’est bien comme ça. Je pense qu’il y a une trop grosse différence de perception entre celui qui fabrique les choses et celui qui reste à la maison, les regarde et les juge. Je ne veux pas trop encourager cette confrontation.

L’USINE DE FILMS AMATEURS, À LA CONDITION PUBLIQUE, 14 PLACE DU GÉNÉRAL FAIDHERBE À 59100 ROUBAIX. JUSQU’AU 15/11.

INFOS: WWW.LACONDITIONPUBLIQUE.COM, WWW.USINEDEFILMSAMATEURS.COM

Gondrymaton

L’esprit ludique et jouette de Michel Gondry ne s’exprime pas que dans ses films barjots, ses clips pour Björk et les White Stripes, la musique de Oui Oui (dont le concert exceptionnel à Roubaix a été annulé pour des raisons d’agenda) et sa désormais improbable Usine de films. Jamais en panne d’inspiration, le farfelu touche-à-tout français s’était mis en tête il y a quelques années d’installer un photomaton un peu particulier à New York: il s’y aménagerait une cabine, y remplacerait l’appareil et y griffonnerait le portrait des clients. Plus réaliste, le réalisateur bricoleur a fini par proposer sur son site Internet à tous ceux qui lui envoyaient une photo et un virement de 20 dollars de les dessiner et de leur envoyer sa modeste oeuvre. Débordé par la demande, Gondry a rapidement mis fin à l’offre mais a tout de même sorti un bouquin, 1000 Portraits, compilant ses représentations d’anonymes. Une partie d’entre elles est pour l’instant exposée à Roubaix.

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