Les tourments de Paul Schrader

Oscar Isaac: de l'art de compter les cartes.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Polar d’un noir d’encre situé dans le milieu du poker et ayant la guerre en Irak pour toile de fond, The Card Counter s’inscrit dans la lignée d’une filmographie marquée par la quête de rédemption.

Amorcé il y a quatre ans avec First Reformed, le retour au premier plan de Paul Schrader se confirme aujourd’hui avec The Card Counter, présenté en compétition à Venise en septembre dernier, et peut-être le meilleur film qu’il ait réalisé depuis Affliction – c’était en 1997. Le génial scénariste de Taxi Driver et Raging Bull y creuse un sillon familier, celui de la quête de rédemption, ressource inépuisable de sa filmographie. Et moteur de William Tell (Oscar Isaac), ancien tortionnaire d’Abou Ghraib ayant passé huit ans et demi derrière les barreaux, période mise à profit pour apprendre à « compter les cartes », méthode lui permettant désormais de survivre de casino en casino sans pour autant pouvoir s’affranchir de son passé. Jusqu’au jour où le destin le met en présence de Cirk (Tye Sheridan), le fils d’un ancien compagnon d’armes s’étant suicidé entre-temps; un jeune homme déterminé à se venger de celui qui était alors leur responsable.

« Deux choses doivent être réunies pour un scénario, commence d’une voix éraillée celui qui en connaît un bout sur la question: un métier, et un thème, un problème sociologique. Parfois, l’emploi vient en premier et le problème en découle, et parfois, c’est l’inverse. Pour Taxi Driver par exemple, j’avais d’abord pensé au problème et puis à la profession qui en serait la métaphore. Cette fois, l’idée de la métaphore m’est venue en regardant des joueurs professionnels à la télévision. C’est une vie étrange: on n’en voit que le côté glamour, mais ces types jouent dix à douze heures par jour, à compter des cartes et à calculer des probabilités. Quel genre d’individu peut bien faire cela? ça a l’air glamour, mais n’est-ce pas plutôt un purgatoire, un monde zombifié pour échapper à la mort? Je me faisais ces réflexions, assez éloignées de l’idée que l’on se fait généralement du milieu du poker, et j’ai alors pensé au problème que je souhaitais aborder, à savoir que plus personne aujourd’hui n’assume ses responsabilités: « Je n’ai pas menti, je me suis mal exprimé « , « Je ne l’ai pas touchée de manière non appropriée, j’ai fait une erreur de jugement « … »

Un constat tout sauf anodin pour un auteur issu, de son propre aveu, d’un milieu calviniste saturé de culpabilité: « On y naît coupable pour le devenir plus encore, et l’on y est responsable de tout, même des actes que l’on ne commet pas. Je me suis demandé ce qui se produirait si quelqu’un ayant un tel background faisait quelque chose d’à ce point atroce qu’il ne pouvait se le pardonner. Et c’est alors que j’ai pensé à Abou Ghraib, une tache indélébile sur l’Histoire de la nation américaine… »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

De Travis Bickle à William Tell

Paul Schrader citeTaxi Driver, le film qu’il écrivait pour Martin Scorsese au milieu des années 70, et il y a du Travis Bickle, le personnage qu’y campait Robert De Niro, dans celui qu’incarne aujourd’hui Oscar Isaac. Une analogie souhaitée par le réalisateur: « Ce sont deux personnages qui portent un masque, ce masque étant leur profession, et qui sont l’un comme l’autre en attente. Travis écrivait dans son journal: « The days can go on with regularity over and over, one day indistinguishable from the next. A long continuous chain. Then suddenly, there is a change. » On trouve la même situation dans The Card Counter , quand William dit: « Le poker n’est rien d’autre que de l’attente, une main puis une autre. Et puis, quelque chose arrive« . Ce sont des gens qui ne sont ni tout à fait vivants, ni tout à fait morts, ils attendent juste que quelque chose se produise… »

Pour arpenter ce purgatoire, Paul Schrader a donc fait appel à Oscar Isaac, parfait, comme de coutume, dans un rôle qui le voit arborer, pouvait-il en aller autrement, une poker face: « J’essaie d’éviter d’écrire avec des acteurs à l’esprit, parce que ça rend paresseux. Si l’on écrit un discours, et que l’on écoute Al Pacino le dire, on va penser « quel grand discours ». Mais ce n’est pas le discours, c’est simplement Al qui est un acteur brillant. Parfois, certaines caractéristiques d’un personnage induisent un acteur. J’avais pensé à Oscar pour First Reformed avant de proposer le rôle à Ethan Hawke parce qu’il avait dix ans de plus. Je lui avais même donné son premier rôle principal il y a 20 ans, mais le projet avait capoté. J’apprécie Oscar pour ses airs de star de cinéma, par opposition au look miteux de Llewyn Davis (allusion au génial Inside Llewyn Davis, des frères Coen, qui révélait l’acteur en 2013, NDLR). Il me fait penser à Ramón Navarro, la grande star glamour de l’époque du muet aux côtés de Rudolph Valentino, mais aussi à Marcello Mastroianni, et c’est ce que je voulais utiliser. C’est toujours délicat de travailler avec des acteurs sur ce registre, parce qu’il faut leur insuffler la confiance de jouer à la surface… »

.

Comme pour mieux occulter leurs tourments intérieurs, cette matière inépuisable que Paul Schrader n’en finit pas d’explorer depuis que sa route croisa celle de Martin Scorsese. Lequel figure d’ailleurs en tête du générique de The Card Counter: « Je lui ai dit: « Nous atteignons la fin de nos carrières respectives, ne serait-ce pas beau de partager un générique une fois encore? Je suis en train de monter ce projet, et si tu y apposais ton nom, ça rendrait les choses plus simples pour moi. » Et il m’a fait cette faveur. » Beau joueur, pour le coup.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content