Jean-Paul Belmondo: l’adieu au Magnifique

Jean-Paul Belmondo, ici à Cannes en 2011. © REUTERS/Eric Gaillard
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Jean-Paul Belmondo était plus qu’une vedette. Rarement star de l’écran fut considérée si proche par un public ami, complice. Hommage.

« Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé« . Les mots sont de Groucho Marx. Ils trouvent écho dans l’éternel sourire éclairant le visage de Jean-Paul Belmondo, jusqu’à une fin que ses proches disent paisible. Sourire impertinent puis triomphant d’une jeunesse conquérante. Sourire complice d’une maturité vécue dans le plaisir d’une popularité rimant avec proximité pour des fans en constante harmonie. Sourire quelque peu étonné, enfin, d’une vieillesse parfois cruelle mais qui n’aura jamais vaincu cette lueur si particulière dans les yeux de Bébel. Cet éclair de désir rappelant instantanément qu’être acteur c’est jouer.

Se prit-il jamais au sérieux, au coeur d’une réussite faisant de lui une des stars absolues du cinéma français? Non, sans doute, porté qu’il fut par une Nouvelle Vague effrontée puis par le choix de la comédie et de l’aventure pour guides rayonnants d’une trajectoire dorée. On le voyait accessible, on l’imaginait en copain potentiel, à qui on dirait « tu » alors qu’avec Delon nul n’aurait envisagé d’abandonner le « vous ». Alain Delon, rival mais aussi partenaire, et jamais ennemi. Delon l’apollonien et Belmondo le dionysiaque: le duo/duel des contraires qui s’attirent, sous un Borsalino mais aussi bien au-delà, jusque dans la mythologie du 7e art. La solitude choisie d’Alain doit se glacer plus encore avec la disparition de Jean-Paul, son égal si différent.

Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans Borsalino de Jacques Deray (1970)
Jean-Paul Belmondo et Alain Delon dans Borsalino de Jacques Deray (1970)© ISOPIX / Collection Christophel © Adel Productions / Marianne Productions / Mars Film

Les copains d’abord

Belles et joyeuses sont les images de « la bande du Conservatoire », au début des années 1950. Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle sont déjà là, Françoise Fabian et Annie Girardot aussi. Claude Rich et Pierre Vernier ne sont pas loin. Au milieu de cette petite troupe estudiantine, Belmondo se signale par sa dégaine très libre et sa gouaille communicative. Il est en confiance, il est à sa place. Il a cette insolence absolue mais jamais calculée, cette insouciance portée à fleur de peau, cet enthousiasme jamais frelaté dont le petit Suisse Jean-Luc Godard saura faire son miel dans deux films chocs et emblématiques: A bout de souffle en 1960 puis Pierrot le Fou 5 ans plus tard. La Nouvelle Vague était lancée, le comédien aussi. Une réplique d’A bout de souffle, donnée face caméra, faisait l’effet d’une baffe: « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, allez vous faire foutre« . Belmondo fut aimé, immédiatement. L’écran consacrait l’aisance de mouvement (il avait été boxeur) et d’expression du nouveau venu. Il magnifiait aussi le physique pourtant pas trop évident de celui qui dirait plus tard « Le charme, c’est la capacité de faire oublier aux autres de quoi vous avez l’air« .

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Le cinéma français, pas seulement celui de la Nouvelle Vague, s’empara très vite du phénomène. Claude Sautet (Classe tous risques), Peter Brook (Moderato Cantabile) précédèrent le grand Jean-Pierre Melville (Léon Morin, prêtre puis Le Doulos) avant qu’entre en scène un Philippe de Broca qui devait emmener Bébel vers les riantes contrées du film d’aventures et de la comédie où il allait s’épanouir spectaculairement. Ce furent le sémillant Cartouche (1962) puis l’éblouissant L’Homme de Rio (1964), avant une série de succès dont Le Magnifique (1973) et L’Incorrigible (1975). Les années 1970 marquent l’apogée de la popularité de l’acteur. Verneuil, Lautner, Zidi, les dialogues aussi de Michel Audiard, assurent la tête du box-office à un Belmondo bien dans sa peau, exécutant volontiers ses propres cascades et peu avare de sourires ravageurs. Les films ne sont pas forcément très bons, et manquent pour beaucoup d’invention, au point de répéter une formule désormais connue faite d’action pure, d’héroïsme et de distance ironique. Une poignée de rôles plus ambitieux, chez Truffaut (La Sirène du Mississipi) ou Resnais (Stavisky), offrent à Bébel quelques excursions dans un domaine cinéphile qu’il abandonne par ailleurs sans regret, prenant un maximum de plaisir tout en donnant beaucoup à un public venu voir « le nouveau Belmondo« , quel qu’en puisse être le réalisateur…

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La mémoire du comédien s’entretiendra donc bien plus dans les reprises à la télévision que dans le programme des cinémathèques. La reconnaissance directe des spectateurs lui aura toujours beaucoup plus importé que toute consécration artistique. Le Jean Gabin de la maturité, qu’il eut pour partenaire dans Un singe en hiver, ne pensait pas autrement. La star Belmondo n’eût le plus souvent qu’à être égale à elle-même pour briller au firmament et combler les attentes. Seul bémol: au milieu des années 1980, le type de véhicules qui lui étaient destinés en priorité cessèrent d’attirer les foules. Et avec leur effacement face aux productions hollywoodiennes du genre vint, précocement, le retrait de la lumière de celui qui n’allait plus tourner qu’une dizaine de films après 1990. Pour autant, même avec une actualité réduite, Bébel a toujours gardé sa place dans le coeur des Français. Un amour qui n’a pas forcément ruisselé vers les générations nouvelles, mais qui l’aura définitivement ancré dans l’imaginaire collectif. Avec surtout ses nombreux succès commerciaux, certes, mais aussi son aura de sympathie jamais entamée, et ce grain de folie qui pousse aujourd’hui un Albert Dupontel à célébrer « son insouciance, sa joie de vivre phénoménale, sa décontraction naturelle« . Et à relever que presque aucun remake (1) de ses films n’a été entrepris: « Belmondo, c’est un goût que tu ne peux pas reproduire! »

(1) Hormis un très dispensable A bout de souffle Made in USA avec Richard Gere.

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