Gorô Miyazaki signe le premier long métrage en images de synthèse du studio Ghibli

Premier long métrage Ghibli entièrement réalisé en images de synthèse, Aya and the Witch pourrait ouvrir au studio nippon de nouvelles possibilités sur le marché international.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Aya and the Witch, le Japonais Gorô Miyazaki signe le premier long métrage en images de synthèse de l’Histoire du studio Ghibli. L’occasion de parler avec lui du futur de l’un des plus prestigieux studios d’animation au monde et de prendre des nouvelles de son célèbre paternel.

Pas facile de se faire un nom, ou plutôt un prénom, quand on est le fils d’Hayao Miyazaki, légendaire cofondateur du studio d’animation nippon Ghibli et réalisateur vénéré d’inusables chefs-d’oeuvre comme Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro ou encore Le Château ambulant. Parmi de nombreux autres… À 54 ans, Gorô Miyazaki n’en est pourtant pas tout à fait à son coup d’essai. Dès 2006, en effet, il signe pour Ghibli un premier long métrage, Les Contes de Terremer, avant de renouveler l’expérience cinq ans plus tard avec La Colline aux coquelicots, dont il écrit aussi les paroles de certaines chansons. Mais les relations sont souvent tendues avec son paternel, qui lui reproche plus d’une fois son immaturité et son manque d’expérience. Aujourd’hui, alors que l’on sait qu’Hayao Miyazaki, 80 ans, est à nouveau sorti de sa retraite annoncée en grande pompe pour élaborer patiemment ce qui pourrait bien être son chant du cygne définitif, la question de sa succession au sein du studio est plus que jamais d’actualité. Avec Aya and the Witch, son troisième long métrage, son fils tente en tout cas une nouvelle approche, puisqu’il signe là la première oeuvre en images de synthèse de l’Histoire de Ghibli. Contacté via Zoom, avec l’aide d’une interprète japonais-anglais, il a accepté de répondre à nos questions avec l’économie de mots et l’humour pince-sans-rire qui le caractérisent.

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Qu’est-ce qui vous a séduit dans Earwig and the Witch, le livre de la romancière britannique Diana Wynne Jones, que vous portez aujourd’hui à l’écran?

Avant toute chose, le personnage de jeune orpheline qui est au coeur de son intrigue. Elle n’est pas la gentille petite fille typique. Elle est pleine de cran et manipule parfois les gens. Elle est déterminée. C’est quelqu’un qui finit toujours par obtenir ce qu’elle veut dans la vie. Pour moi, c’était vraiment un personnage très intéressant autour duquel construire un film.

Le film résulte d’une coproduction entre le studio Ghibli et une chaîne de télévision. Est-ce que vous le considérez pleinement comme un film Ghibli? Au Japon, il a d’abord été diffusé en télévision avant d’être montré au cinéma…

Techniquement, en effet, il s’agit là d’une coproduction. Mais d’autres longs métrages Ghibli ont été, de la même façon, coproduits par des studios de télévision ou des agences publicitaires. La plupart des films Ghibli résultent de coproductions, à vrai dire.

C’est la première fois, par contre, que Ghibli produit un film entièrement réalisé en images de synthèse. Pourquoi avoir choisi cette technique pour ce film?

Il y a plusieurs raisons. Avant de réaliser Aya, j’ai travaillé sur une série télévisée intitulée Ronya, fille de brigand qui dépendait d’autres studios que le studio Ghibli. Pour cette série, j’ai travaillé avec une animation par ordinateur et j’ai trouvé que cette approche offrait beaucoup de possibilités. Ça m’a donc motivé à prolonger l’expérience. L’autre raison, c’est qu’on a beaucoup réfléchi au futur du studio Ghibli et que, même si le studio continuera toujours à produire des films conçus en animation traditionnelle, il nous est apparu assez évident que ce serait bénéfique de nous diversifier et de nous ouvrir à l’animation assistée par ordinateur, qui est devenue une tendance majeure sur le marché international. Étant le seul à avoir acquis des compétences en la matière au sein du studio, c’est assez naturellement à moi qu’il revenait de tenter l’expérience d’un premier long métrage utilisant cette technique.

Est-ce que ça signifie que ce film ouvre en quelque sorte une nouvelle ère pour le studio Ghibli?

Je dirais plutôt qu’ Aya fonctionne plutôt à la manière d’un hameçon au niveau international. Vous savez, Ghibli reste une entreprise artisanale très modeste, nous sommes loin d’être un gros poisson dans le milieu. Les gens nous voient souvent plus imposants que nous ne le sommes réellement en termes économiques. Nous n’avons pas vraiment les moyens de multiplier les projets ambitieux au même moment. Aya pourrait nous ouvrir des possibilités sur le marché.

Confrontez-vous beaucoup vos idées et votre mode de fabrication avec ceux d’autres grands studios internationaux, venus d’Europe ou des États-Unis, au moment de réaliser un film comme Aya and the Witch?

D’une manière générale, ce n’est pas tellement notre truc, je dois dire, de collaborer avec des studios étrangers. Chacun possède ses forces et ses faiblesses, et nous pensons que c’est une bonne chose de pouvoir continuer à travailler à notre façon bien singulière. Ceci dit, l’animation 3D par ordinateur à laquelle nous avons eu recours afin de réaliser Aya and the Witch relève d’une technologie assez standardisée qui passe par une plateforme globalisée à laquelle des personnes de tous les pays contribuent. À l’avenir, nous pourrions donc être amenés à collaborer davantage avec l’étranger sur des productions privilégiant les images de synthèse.

Gorô Miyazaki signe le premier long métrage en images de synthèse du studio Ghibli
© AFP via Getty Images

Aya and the Witch s’adresse d’évidence davantage aux enfants qu’à des spectateurs adultes. Prenez-vous en compte une espèce de public cible au moment de vous lancer dans la réalisation d’un nouveau long métrage?

Oui, j’ai toujours en tête une sorte de profil de spectateur auquel je tiens à m’adresser en priorité. Dans le cas d’ Aya and the Witch, je pensais plutôt à des enfants encore à l’école primaire. Pour autant, le film ne doit pas être excluant. J’ai envie que les adolescents et les adultes l’apprécient également.

Pouvez-vous parler de l’importance de la musique dans Aya and the Witch? La bande-son possède une coloration très rock psychédélique et vous avez à nouveau écrit vous-même les textes des chansons qu’on y entend…

Dans le cinéma d’animation, la musique joue un rôle très important. Elle permet d’accentuer les émotions mais, à travers des chansons à textes, elle permet aussi de raconter des choses. J’ai pensé que le rock serait la musique idéale pour ce film, notamment parce que son action se déroule en Angleterre. Je suis un fan inconditionnel de rock anglais, donc c’était l’occasion de me faire plaisir tout en servant au mieux la cause de cette histoire.

La fin est assez ouverte. Envisagez-vous de donner une suite à ce film?

Beaucoup de gens me disent ça, et je dois dire que c’est assez problématique pour moi. Nos personnages sont déjà modélisés en 3D, donc il est vrai que ce serait facile, techniquement parlant, de se lancer dans une suite. Mais d’un autre côté, je n’aime pas beaucoup l’idée de suite. C’est très limitant, créativement parlant. Je préférerai toujours me lancer dans quelque chose de complètement neuf.

Hayao Miyazaki, votre père, est crédité au générique du film. Quel a été son rôle?

C’est lui qui, à l’origine, a suggéré de s’intéresser au livre de Diana Wynne Jones en vue d’en réaliser une adaptation cinématographique. Et sa contribution se limite entièrement à ça, à vrai dire (sourire).

Que pouvez-vous dire à propos du prochain long métrage très attendu du studio Ghibli, How Do You Live?, qui sera à nouveau réalisé par votre père? Le film avait un temps été annoncé pour 2020, puis 2021, aujourd’hui il semblerait qu’on parle plutôt d’un atterrissage en 2023…

Mon père a commencé à travailler concrètement sur ce projet il y a plus de cinq ans. C’est Toshio Suzuki, le producteur en chef et ancien président du studio Ghibli, qui est à nouveau en charge de la production du film. Et pour être tout à fait honnête, chaque fois que quelqu’un demande à ce dernier quand le film sera terminé, il répond invariablement:  » Dans trois ans. » Ça fait plusieurs années que ça dure, mais donc aux dernières nouvelles il devrait être fini pour 2024 (sourire).

S’agissant de votre père, qu’en est-il de cette fameuse retraite dont il était question au moment de la sortie du Vent se lève, son dernier long métrage, en 2013?

Sa supposée retraite? Vous savez, c’est une chose qu’il a déjà annoncée pour la première fois il y a de ça une vingtaine d’années. Depuis, c’est une espèce d’idée fixe sur laquelle il est revenu de nombreuses fois. Je regardais la conférence de presse au cours de laquelle il a à nouveau annoncé qu’il se retirait au moment de la sortie du Vent se lève, et je me souviens très clairement m’être dit:  » Jamais de la vie. Il ne va pas en rester là. » (rires)

À propos de votre parcours personnel, au début de votre vie adulte vous ne travailliez pas dans le milieu du cinéma, mais bien comme consultant en aménagement urbain. Était-ce malgré tout clair pour vous, à cette époque, que vous réaliseriez un jour des films?

Non, je ne pensais pas faire de films un jour quand j’étais plus jeune. Tout simplement parce que je savais que je n’avais pas le même talent que mon père. Donc à l’adolescence, j’avais déjà abandonné mon rêve de travailler un jour dans l’animation. C’est pour ça que je me suis alors tourné vers un domaine complètement différent. Si Toshio Suzuki ne m’avait pas poussé à faire le pas, jamais je n’aurais réalisé de films.

Comment voyez-vous le futur de votre côté? Avez-vous déjà d’autres projets sur le feu?

En ce moment, je travaille sur la planification du parc Ghibli. Il s’agit d’un parc situé au sein d’un espace public et développant des thèmes propres à l’univers de nos films. C’est quelque chose qui va me tenir très occupé pendant encore un bon moment (situé dans la préfecture d’Aichi, à proximité de Nagoya, le parc Ghibli devrait ouvrir ses portes à l’automne 2022, NDLR) mais dès que c’est terminé, je commencerai à réfléchir à mon prochain long métrage.

Et à propos du futur du studio lui-même: vous voyez-vous prendre de plus en plus d’importance au sein de la structure?

Quand les plus anciens ne seront plus là, j’avoue que je préférerais que quelqu’un d’autre que moi prenne la responsabilité de la gestion du studio (sourire). Dans un avenir plus proche, disons que si mon père n’a pas cessé d’annoncer, ces dernières années, qu’il allait se retirer, sans toutefois jamais parvenir à le faire vraiment, c’est tout simplement parce qu’il ne peut pas s’arrêter de créer des choses. Il a tellement ça dans le sang. À l’heure actuelle, le studio reste un environnement entièrement conçu pour lui permettre d’exprimer sa créativité. Personne aujourd’hui ne peut dire ce qui se passera quand il ne sera plus de ce monde. Ce sera à nous de trouver la réponse la plus adéquate quand la question se présentera très concrètement.

Aya and the Witch

Adaptation d’un roman de Diana Wynne Jones, autrice britannique qui avait déjà inspiré son Château ambulant à Hayao Miyazaki, Aya and the Witch voit le fils de ce dernier ( Les Contes de Terremer, La Colline aux coquelicots) tenter un long métrage entièrement réalisé en images de synthèse sous l’enseigne Ghibli. Visuellement peu séduisant, le film, qui suit les tribulations d’une jeune orpheline rebelle aux prises avec des expérimentations magiques, manque d’ambition, de caractère et de fluidité, même si le plaisir et une certaine inventivité sont bien au rendez-vous. Avec ses enjeux limités, Aya évoque au fond davantage une sorte de film-laboratoire orienté très jeune public. Sympathique, mais relativement mineur.

Gorô Miyazaki signe le premier long métrage en images de synthèse du studio Ghibli

Film d’animation de Gorô Miyazaki. 1 h 22. Sortie: 18/08. ***

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