Festival de Deauville: L’Amérique selon Jean-Baptiste Thoret

We Blew It, de Jean-Baptiste Thoret © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

D’Easy Rider à Donald Trump, entre grands espaces et illusions perdues, Jean-Baptiste Thoret, le dernier des cinéphiles, se fend d’un titanesque road-movie documentaire sur l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui: We Blew It. Brillant.

Il s’est souvent demandé à quoi pensait le cinéma américain. Aujourd’hui, c’est son propre cinéma qui se demande comment penser l’Amérique. Essayiste et historien du 7e art, spécialiste du Nouvel Hollywood et des productions de genre, critique ayant tourné le dos à la presse cinématographique, qu’il juge à l’agonie, le Français Jean-Baptiste Thoret marche désormais sur les pas de l’un de ses modèles avoués, Robert Kramer, et son chef-d’oeuvre buissonnier, Route One/USA (1989). Après deux documentaires au format 52 minutes, l’un sur Dario Argento, l’autre sur l’art de filmer la guerre, il signe ainsi avec We Blew It, présenté cette semaine à Deauville dans la section « Les Docs de l’Oncle Sam », ce qui pourrait bien devenir son opus magnum, un titanesque road-movie documentaire de plus de 2 heures consacré au déclin de la contre-culture et à la fin des utopies US des années 60/70, mais aussi à leur hypothétique héritage. Sur la route, de New York à Los Angeles, il fend l’immensité américaine d’une caméra-scalpel, façon autopsie en CinemaScope de sa psyché d’hier et d’aujourd’hui, s’attardant longuement dans les recoins les plus oubliés, quasiment non répertoriés, de ce grand corps pétri de contradictions, qu’il embrasse avec un humanisme passionné doublé d’un regard perçant.

Assassinat de JFK, Woodstock, guerre du Vietnam… et jusqu’à la Présidentielle de 2016 donc, qui agite alors les esprits: le film présente les USA en territoire déboussolé où se joue un bras de fer immémorial entre l’ombre et la lumière. Sans jamais rien sacrifier à la nuance, ni à la complexité de son sujet. Et donnant la parole à tous. Chronique de la fin d’un rêve, d’une immense vague d’espoir venue s’écraser sur le brise-lames amer des lendemains qui déchantent, ce portrait fragmenté aux enjeux extra-larges charrie un souffle épique, celui des grands espaces, arrosé, çà et là, de drôlerie lunaire. Comme ce patriote qui déclame son texte face caméra et se trompe. Ou bien ce conservateur, à propos de Nixon: « Un bête type. Il a marché dans la merde et ne s’est pas débarrassé de l’odeur. » Et puisqu’on ne se refait pas, un certain âge d’or du cinéma US, celui courant de 1968 à 1975, y fait office de fil rouge. Bob Rafelson, Peter Bogdanovich, Jerry Schatzberg… Ils sont tous là pour témoigner. Pour Paul Schrader, le scénariste de Taxi Driver, la grandeur du Nouvel Hollywood ne tenait qu’à l’importance que les gens lui donnaient: ils se tournaient vers les films pour trouver des réponses à leurs questionnements profonds. We Blew It, en effet, nous parle aussi d’une époque où le cinéma comptait.

Construit sur le modèle d’une boucle, le film, fruit d’un ébouriffant travail de montage, s’ouvre sur le Peter Fonda d’Easy Rider pour se refermer sur un vieillissant Tobe Hooper, réalisateur tout récemment décédé de The Texas Chainsaw Massacre. Dans leurs bouches, le même constat désillusionné: « We blew it. » De ce supposé foirage à grande échelle, Thoret tire la sève d’un subjuguant objet de cinéma, tourbillonnant kaléidoscope d’images, de visages et de voix qui tire sa révérence sur un sublime travelling arrière où résonnent, tel un mantra extatique, ces quelques mots: « God bless America. » Voilà, on va dire ça.

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