Emmanuelle Devos, une actrice au parfum

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans Les Parfums, comédie de Grégory Magne, Emmanuelle Devos campe un nez avec sa finesse habituelle. Et file, dans la foulée, la métaphore olfactive… Rencontre.

Emmanuelle Devos a cette qualité rare de pouvoir, par sa seule présence, entraîner un film en terrain fascinant. Ainsi Les Parfums de Grégory Magne auquel elle vient, l’air de rien, imprimer mystère et décalage subtil. La comédienne y incarne Anne Walberg, une célébrité dans le monde des parfums, un nez dont les services sont requis jusque dans les circonstances les plus improbables, compétences qu’elle assortit d’un caractère bien trempé, sur le mode diva secrète et hautaine. Une routine que va quelque peu malmener l’entrée en scène d’un nouveau chauffeur (Grégory Montel) ne s’en laissant point conter. « J’ai tout de suite beaucoup aimé cette Anne Walberg, confie-t-elle d’emblée. Je la comprenais très bien, je pouvais avoir des points communs avec elle, sur la peur des gens, le côté réfugiée dans une bulle, se protéger du monde, tout cela me parlait. Et puis, c’est une histoire assez atypique: on n’est pas sur une histoire d’amour, ni sur un rapport si évident dominant-dominé, ce sont deux personnes qui vont s’apprivoiser. J’adore ce genre de thème. »

Banque d’émotions

Afin de se pénétrer de son personnage, l’actrice a côtoyé pendant quelques temps Christine Nagel, directrice de la création et du patrimoine olfactif chez Hermès -on lui doit notamment Eau de citron noir ou Un jardin sur la lagune. Une expérience rien moins que passionnante: « Beaucoup de choses rentrent en jeu pour créer un parfum: une connaissance chimique et historique des choses, de même qu’une connaissance géographique du monde. Avec aussi un côté commercial: on ne peut pas fabriquer un parfum qui va valoir 1000 euros la bouteille. Certains extraits et fragrances étant hors de prix, comment compenser avec du chimique? C’était très intéressant. » Avec en sus un élément n’ayant pas manqué de la frapper: « Pour un nez, il n’y a pas de mauvaises odeurs. Si on lui fait sentir une poubelle, il va sentir la pelure d’orange, la banane, un peu le poulet avarié, mais tout ça va être disséqué, rangé dans sa mémoire olfactive et voilà. Il y a avant tout la curiosité envers l’odeur. » Qu’une part subjective et émotionnelle vienne s’y greffer tombe pratiquement sous le sens, rapprochant l’expérience d’une professionnelle de la senteur de celle de la comédienne. « Le métier d’acteur est étrange, opine Emmanuelle Devos. On est à la fois ballotté par beaucoup de choses et maître du jeu. On passe par tous les sens, par beaucoup de sentiments qu’il faut un peu réguler et mettre en mémoire, pour les ressortir à tel ou tel moment. On a une petite banque d’émotions comme elles, elles ont une banque d’odeurs. Inconsciemment, on les garde en soi pour les ressortir à bon escient pour un rôle. C’est toujours surprenant, et c’est ça l’instinct de l’acteur. »

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Combiné à un flair qu’elle a de toute évidence affûté, cet instinct lui a valu de composer un parcours au scintillement persistant, courant d’Arnaud Desplechin à Philippe Faucon en passant par Noémie Lvovsky, Jacques Audiard ou Sophie Fillières. Une ligne sans concessions, encore qu’elle tempère: « Je fais ce que j’ai envie de faire, ce qui me parle, ce que je trouve nécessaire, pour moi mais aussi pour les autres. Les autres, c’est une masse inconnue, mais d’abord il faut en tout cas que ça me plaise à moi. La ligne est extrêmement égoïste: mon plaisir d’abord, et après, si ça plaît aux autres, très bien. Mais c’est vrai que je ne fais pas de concessions à un plan de carrière, par exemple. Je ne vais pas faire un film en me disant « ce serait pas mal d’aller vers une comédie, ou quelque chose d’un peu plus grand public », parce que pour moi, ça ne veut rien dire, grand public, c’est un terme fasciste, presque. On ne peut pas vouloir faire des choses « grand public », qui vont plaire aux autres. Qu’est-ce que j’en sais? Donald Trump, Bolsonaro, ils ont été élus par un grand public. Ils ont raison ou ils ont tort? Pour eux, ils ont raison, et pour moi ils ont tort, mais c’est mon avis, je n’ai pas à juger de ça. Je fais ce que j’aime, sans quoi je me sentirais mal à l’aise, je ne saurais pas jouer, je serais mauvaise. Et je ne veux pas céder. »

Quant au tropisme féminin prononcé de sa filmographie où, aux Lvovsky et Fillières s’ajoutent les noms de Delphine Gleize, Anne Fontaine, Tonie Marshall, Anne Le Ny, ou encore Fien Troch? « C’est plus générationnel que sexué. Ce n’était absolument pas militant. Je sortais du cours Florent, c’était mes copines de la Femis, on rencontrait autant de réalisatrices que de réalisateurs, elles m’ont proposé des rôles qui me plaisaient, et voilà. Point barre. Je suis d’une génération, les années 70, où tout était beaucoup plus mixte. C’était après 68, mais un peu digéré, on était tous habillés pareil à l’école, avec le pantalon en velours côtelé, les Kickers, le sweat UCLA et le même sac à dos, dans une sorte de mixité. C’est un âge, vers treize-quatorze ans, où on aime bien être tous pareils, et j’ai l’impression que ça s’est re-sexualisé. Et du coup, on doit reparler des genres, parce qu’il faut que l’éducation soit vraiment dégenrée, parce que c’est pénible. Mais moi, on ne m’a jamais dit « tu ne pourras pas être pompier, ou médecin parce que c’est un métier de garçon. » J’ai 55 ans maintenant, je fais partie presque des vieux, et voir qu’on en remet une couche là-dessus est très surprenant. Comme je n’ai jamais subi d’oppression sur mon sexe au sens F, ça me paraît bizarre… »

Les Parfums. de Grégory Magne. Avec Emmanuelle Devos, Grégory Montel, Gustave Kervern. 1h40. Sortie: 01/07. ***(*)

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