Daniel Radcliffe: la vie après Harry Potter

Daniel Radcliffe dans Kill Your Darlings © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Daniel Radcliffe se réinvente dans Kill Your Darlings, le premier film de John Krokidas, où il campe avec un mélange d’aplomb et de fragilité le jeune Allen Ginsberg.

Dix ans dans les mêmes habits, voilà qui vous marque un acteur. A fortiori, lorsqu’il s’agit d’un rôle emblématique comme celui de Harry Potter, sous les traits duquel Daniel Radcliffe a grandi, de 2001 à 2011, dans l’oeil du public. Dans le regard des professionnels aussi, d’ailleurs, au risque d’éventuels dommages collatéraux: « On s’imagine qu’une fois obtenu l’accord de Daniel Radcliffe, tous les feux de la production vont passer au vert. Mais je me suis entendu dire par les financiers que Daniel Radcliffe ne pouvait soutenir de film sans avoir de baguette magique à la main… », rapporte John Krokidas, le réalisateur de Kill Your Darlings, revenant sur le montage délicat d’un projet où Radcliffe campe Allen Ginsberg, le poète beat américain. Le cinéaste saura toutefois se montrer persévérant et persuasif, les circonstances jouant en sa faveur avec la sortie de The Woman in Black, drame horrifique de James Watkins venu, fort à propos, brouiller l’image du jeune comédien britannique.

Savourant la Mostra de Venise, ce dernier sourit à l’évocation de l’anecdote: « Je ne me soucie pas de ces préjugés. Mieux même, je les considère comme un carburant: cela ne fait jamais qu’ajouter un nom à la liste des personnes à qui je dois démontrer combien elles étaient dans l’erreur. » Et de poursuivre: « On a tendance à vouloir définir mon rapport à Harry Potter en termes assez violents, genre: « Etes-vous en train de le détruire? » Mais pas du tout, j’avance simplement dans l’existence. Et je tiens naturellement à me distinguer de Harry, et à être considéré comme un acteur et non juste comme un personnage, ces films constituant une part importante de ce processus. Mais je n’oublie pas que sans Harry Potter, je ne serais pas ici, dans mon beau costume. Je suis extrêmement reconnaissant d’avoir eu cette opportunité. On tend à ne voir en Harry qu’une paire de menottes dont je dois me défaire. C’est aussi une formidable plate-forme, qui m’a valu une base de fans ayant grandi avec moi. A moi de les prendre par la main, et de les emmener sur des voies intéressantes. J’estime avoir une responsabilité en ce sens. »

Dane DeHaan et Daniel Radcliffe
Dane DeHaan et Daniel Radcliffe© DR

Ressentir l’énergie

Kill Your Darlings apparaît, à cet égard, exemplaire. Radcliffe y incarne donc Allen Ginsberg à l’époque où, fréquentant l’université de Columbia, sa vie va prendre le tour qui en fera, à l’instar de Jack Kerouac et William Burroughs, l’une des figures emblématiques de la Beat Generation, mais aussi l’un des poètes majeurs de l’Histoire de la littérature américaine. Un terrain sur lequel l’acteur s’est, à l’évidence, senti dans son élément: les beats, il raconte les avoir découverts adolescent, lorsqu’un ami lui offrit une copie du Festin nu de Burroughs. Entrée en matière relevée, pour le moins, ce dont il convient d’ailleurs bien volontiers: « Cet ami m’avait précisé que je n’étais pas censé tout comprendre. Et je me suis dit: « OK, fine. » Je l’ai lu, et j’y ai pris du plaisir. Je suis ensuite passé à On the Road, que j’ai moins apprécié que la plupart de ceux qui l’ont lu. Je n’y ai pas vu, en tout cas, de livre susceptible de bouleverser mon existence comme celle de tant d’autres, tout en comprenant pourquoi cet ouvrage était considéré comme révolutionnaire. Quant à Ginsberg, j’ai dû le découvrir à 17 ans, lorsqu’on m’a offert un exemplaire de Howl, avec le même genre d’avertissement: « Tu ne comprendras sans doute pas, mais ce n’est pas grave, lis-le, et ressens l’énergie qui y circule. » Avoir à jouer Allen dans ce film a modifié ma perception de son travail et de sa poésie. Elle est assez abstraite, mais du fait de m’être familiarisé avec lui et avec son existence, sa poésie m’est apparue très puissante, émotionnellement, chose que je n’avais jamais réalisée auparavant. » Le comédien sait de quoi il parle, lui dont les vers ont déjà été publiés, et qui confesse une passion pour les romantiques, John Keats, Percy Shelley et autre Samuel Taylor Coleridge –« soit plutôt le type d’auteurs que Ginsberg n’aimait pas », relève-t-il amusé. « Il y a chez Keats un tel sens de l’agencement des mots -cette aptitude qu’il avait à les faire sonner comme de la musique. Stupéfiant… » Et comment, il suffit de voir le Bright Star de Jane Campion pour s’en convaincre.

Enfin à sa place

Daniel Radcliffe: la vie après Harry Potter

S’agissant d’un monument comme Ginsberg, Daniel Radcliffe confesse également avoir été soulagé de l’interpréter « à une époque de sa vie où il n’était pas encore célèbre. Cela a atténué la pression, personne ne sachant vraiment à quoi il ressemblait à l’époque. Il y a peu de photos ou de matériel sur lui à cet âge, mais je n’étais pas pour autant à court de ressources, parce qu’il a tenu un journal pendant l’essentiel de son existence. » Et de fait, la partition de l’acteur est tout à fait concluante, qui devrait convaincre les derniers sceptiques de sa capacité à tomber les habits de sorcier (on y revient décidément toujours). « Ma confiance dans mes aptitudes d’acteur a augmenté ces deux dernières années, parce que j’ai enfin commencé à faire du travail dont je suis satisfait et fier. Ce film a constitué un déclenchement. Lorsque je suis remonté sur les planches récemment pour jouer The Cripple of Inishmaan, je me suis d’ailleurs senti pour la première fois à ma place au théâtre. »

Au-delà de la personnalité même de Ginsberg, et de l’impact qu’a pu avoir la Beat Generation sur la (contre-)culture américaine, le coeur de Kill Your Darlings est aussi une histoire d’amour gay inscrite dans un contexte ouvertement homophobe. A savoir celui de l’Amérique des années 40, où un meurtrier pouvait échapper à la prison s’il se déclarait hétérosexuel ayant fait l’objet d’une « agression » homosexuelle. Une réalité que le film ne se fait faute d’explorer, et dont l’actualité, en Russie et ailleurs, renvoie l’écho, fût-il même assourdi. « Une des raisons pour lesquelles John Krokidas n’a pas perdu la foi durant tout le temps où il tentait de monter le film, c’est qu’il tenait à ce que cela se sache. Et bien sûr que c’est important. On ne peut se contenter du stade où l’on en est aujourd’hui: il faut continuer à changer, évoluer, devenir plus civilisé », martèle Radcliffe, qui, conséquent, aura trouvé là un prolongement à son engagement au profit de Trevor’s Project, organisation oeuvrant à la prévention du suicide chez les jeunes homosexuels. Facétieux, Krokidas raconte, pour sa part, espérer que son film soit montré sur la Place Rouge, à Moscou. On peut toujours rêver…

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