Carmen et Lola, amour tabou

Novices, Zaira Romero et Rosy Rodriguez irradient cette histoire d'amour interdit.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pour son premier long métrage de fiction, la cinéaste espagnole Arantxa Echevarria dépeint avec allant la passion amoureuse entre deux jeunes gitanes.

Premier long métrage de fiction de la cinéaste basque Arantxa Echevarria, Carmen et Lola s’invite dans une communauté gitane de la banlieue madrilène, sur les pas de deux jeunes filles dont la passion amoureuse va braver les interdits. À l’origine du film, le désir de la réalisatrice de parler du vertige du premier amour, avec sa dimension universelle. Sujet auquel est venu s’en greffer un autre, lorsqu’elle a découvert, en 2009, un article de journal évoquant le premier mariage entre deux jeunes gitanes. « La loi autorise le mariage entre personnes de même sexe depuis 2004, explique-t-elle, de passage à Bruxelles à l’occasion du festival du cinéma méditerranéen. Il leur a donc fallu cinq ans pour être mariées. La photo avait été prise de dos, et leurs noms modifiés, afin qu’on ne puisse pas les reconnaître. Et pire, personne n’avait assisté à leur mariage, un comble chez les gitans pour qui la famille, la communauté et la fête sont fort importants. J’ai voulu retourner cette photo, et j’ai découvert Carmen et Lola, tout en me demandant à quoi avait pu ressembler leur premier amour. »

Recherche de vérité

Avant de se frotter à la fiction, Arantxa Echevarria avait accumulé une longue expérience de documentariste, bagage bien utile au moment de se lancer dans ce projet et de tenter de se faire « adopter » par une communauté gitane dont, de son propre aveu, elle ne connaissait que fort peu de choses, et pas plus l’héritage que les rituels. « Les débuts ont été difficiles, parce que j’arrivais avec mon idée de couple lesbien, et ils n’arrêtaient pas de me répondre par la négative, le sujet étant tabou à leurs yeux. Mais la fortune sourit aux audacieux, ou alors aux idiots, et j’ai persévéré. Deux ans ont été nécessaires pour me faire accepter. Quand ils m’ont vue avec mes enfants, ils se sont dit que cette « gadjo » n’était au fond pas si mal. Je suis allée chez eux, ils sont venus chez moi, et alors qu’au début, ils me disaient: « Pas question de faire ce film », au bout d’un moment, c’était plutôt: « Je connais une lesbienne, mais surtout, ne l’ébruite pas. » Et ils se sont impliqués dans le projet. »

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Si la cinéaste a su rallier ses interlocuteurs à sa cause, c’est aussi en raison de la qualité de son regard, se défiant du paternalisme comme du voyeurisme, pour leur préférer la recherche de la justesse, à rebours des préjugés, et à l’abri d’un quelconque jugement. Carmen et Lola est ainsi le fruit d’un long processus immersif l’ayant vu partager, pendant les deux années de préparation, la vie de cette communauté. Le résultat à l’écran s’en ressent, la caméra semblant se fondre dans le décor et s’effacer devant les protagonistes, le recours à des comédiens non professionnels accentuant encore le sentiment de vérité. « J’ai choisi cette option parce que je n’arrivais pas à trouver la vérité avec des acteurs, souligne encore Arantxa Echevarria. J’ai pensé à Pasolini ou aux Dardenne, qui travaillent avec des non-professionnels, ce qui dégage quelque chose de vraiment spécial. Même s’il faut être vigilant, tant la frontière entre ce qui est bon et ce qui est mauvais est ténue. Mais je voulais des gens qui se jouent eux-mêmes et non qui fassent semblant d’être quelqu’un d’autre; des individus qui ressemblent à mes personnages, ou partagent leurs sentiments. » Ainsi donc de Zaira Romero et Rosy Rodriguez, formidables Lola et Carmen, dont l’alchimie embrase l’écran. « Elles ne se connaissaient pas au début des répétitions, mais nous avons travaillé six mois. Au début, elles étaient fort timides, genre: « Je dois vraiment l’embrasser? » Mais à la fin, elles étaient devenues amies et avaient cette fougue que l’on retrouve dans le film. »

De fait, cet amour semble pouvoir tout renverser sur son passage, tabous, préjugés, patriarcat, interdits familiaux et religieux, en quoi le film prend sans doute quelque licence avec la réalité. « Les adolescentes gitanes lesbiennes que j’ai rencontrées passent par des épreuves très lourdes. Leur vie est dure, elles doivent se cacher. Si l’on dit de lesbiennes qu’elles vivent dans un placard, elles, c’est dans un coffre-fort. En Espagne, elles font l’objet d’une triple discrimination, en tant que femmes, gitanes et lesbiennes. » Même si Carmen et Lola vient lumineusement suggérer, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, qu’il n’y a pas là nécessairement une fatalité…

Carmen et Lola ***(*)

D’Arantxa Echevarria. Avec Zaira Romero, Rosy Rodriguez, Rafaela Leon. 1h47. Sortie: 19/06.

Carmen et Lola, amour tabou

Elles s’appellent Carmen et Lola, vivent dans une communauté gitane de la banlieue madrilène, et auraient, à 17 ans à peine, un avenir déjà tout tracé d’épouses et mères de famille (nombreuse) si leur rencontre inopinée ne provoquait des étincelles, leur complicité initiale se muant bientôt en sentiments plus profonds. Et les deux jeunes filles de devoir affronter tabous, préjugés et interdits sur la voie de leur émancipation amoureuse. Le canevas, celui d’une romance lesbienne contrariée, est somme toute convenu. Le premier long métrage de fiction d’Arantxa Echevarria vaut toutefois aussi bien par le regard quasi documentaire porté par la réalisatrice sur le quotidien de cette communauté que par l’énergie émanant de ses deux interprètes principales, deux épatantes comédiennes non professionnelles donnant à cette passion amoureuse un éclat aussi intense que solaire.

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