Brad Bird: « L’univers des Indestructibles n’est pas un pur univers de super-héros »

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

En 2004, Les Indestructibles anticipaient avec brio une ère paroxystique pour les super-héros au cinéma. Quatorze ans plus tard, leur créateur Brad Bird leur donne une suite. Avec quel degré de perméabilité à la logique de surenchère faisant désormais loi?

A première vue, rien n’a changé pour la famille Parr. Et quand on dit rien, c’est rien: Les Indestructibles 2 s’ouvrent à la minute près où se refermait il y a quatorze ans le premier volet estampillé Pixar de ses aventures animées. Ceux qui espéraient retrouver à l’écran un clan de super-héros marqués par le temps en seront donc pour leurs frais: les parents Helen et Bob, flanqués de leurs rejetons Violet, Dash et Jack-Jack, forment un bloc immuable face à la vermine déprédatrice. Logique, somme toute, si l’on se réfère à la manière dont Brad Bird, leur géniteur commun, a conçu ces personnages hauts en couleur et leurs habilités spécifiques: chez les Indestructibles, en effet, la super-force de Bob renvoie à la figure caricaturée du père protecteur, l’élasticité d’Helen à celle de la mère qui se démène dans tous les sens, l’invisibilité de Violet à l’insécurité propre à l’adolescence et la rapidité de Dash à une enfance boule de nerfs. Quant à Jack-Jack, le petit dernier, son étendue « couteau suisse » de pouvoirs fait écho à l’incroyable faculté d’apprentissage des bébés.

Vu sous cet angle, bien sûr, aucune raison de venir bousculer la distribution emblématique des âges. D’autant que l’action de ce qu’il convient désormais d’appeler une saga s’inscrit dans un univers résolument hors du temps, à la fois versé dans une esthétique vintage très années 50/60 et une projection futuriste telle que fantasmée par le passé. C’est aussi l’atout des Indestructibles: un pied dans la tradition, l’autre dans la modernité. Ou pour le dire autrement: un pied dans l’ordinaire familial, l’autre dans l’extraordinaire héroïque. Une logique aussi ductile que leur justicière de choc, la bien nommée Elastigirl, qui occupe dans cette suite le devant de la scène. Car si Brad Bird reprend les choses exactement là où il les avait laissées, c’est pour mieux dans la foulée orchestrer une inversion des tâches. Cette fois, c’est donc au tour de Bob, rapidement débordé, de jouer les hommes au foyer, tandis que son épouse prend son pied à sauver la planète. « L’idée de l’inversion des rôles entre Helen et Bob date de l’époque où on faisait la promotion du premier film, assure le réalisateur. Ce que je veux, c’est mesurer les conséquences qui en découlent en termes de réajustement dans l’organisation de leur quotidien. J’ai très tôt réalisé que ce qui m’intéresse le plus dans cette histoire, c’est la dynamique entre les personnages, et non leur identité de super-héros. La difficulté de conjuguer vie de famille et vie professionnelle est universelle. C’est pourquoi nous nous sommes toujours efforcés de faire cohabiter le prosaïque et le fantastique. »

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Action à la hausse

Signe limpide de cette volonté d’ancrage dans le réel: carton mondial en 2004 avec plus de 630 millions de dollars de recettes et un Oscar du meilleur film d’animation à la clé, Les Indestructibles ont aussi alors été le premier long métrage Pixar entièrement composé d’humains. À l’époque, quatre ans à peine avant le premier Iron Man qui allait consacrer le lancement officiel d’un Marvel Cinematic Universe appelé à abondamment essaimer, ils anticipaient pourtant également une ère paroxystique pour les super-héros au cinéma. Sur les quatorze années qui séparent la production des deux Indestructibles, plus de 50 (!) films de super-héros ont ainsi vu le jour sur les écrans, qu’ils soient labellisés Marvel, DC ou autre. Face à cette véritable bacchanale fétichisée de justiciers costumés de plus en plus enclins à se côtoyer, Brad Bird préfère ouvertement la jouer perso. « Disons que l’on se sent un peu à part, et qu’on préfère le rester (sourire) . Commencer à faire des références ou même de simples allusions à d’autres films de super-héros actuels reviendrait selon moi à plonger tête baissée dans le terrier du Lapin blanc. Je ne crois pas que ce soit la bonne façon de fonctionner. L’univers des Indestructibles n’est même pas, en tant que tel, un pur univers de super-héros. Nous empruntons également beaucoup d’éléments à la tradition du film d’espionnage, par exemple. Et puis bien sûr à ma propre vie de famille, que ce soit celle que j’ai connue étant gamin dans les suburbs ou celle qui est la mienne aujourd’hui avec femme et enfants. »

De même, le cinéaste américain tente de rester attentif à ne pas sacrifier à cette logique quasiment systématisée de surenchère d’effets et d’action se déployant à mesure que se succèdent les différents épisodes d’une même franchise. « Quel que soit le film que vous êtes occupé à faire, je pense sincèrement que vous ne devez jamais perdre de vue que le plus important reste vos personnages. Cette tendance actuelle à en faire toujours plus est trop souvent contre-productive. Dans le tout premier Star Wars , il n’y avait qu’une seule flambée d’action: celle de la bataille finale de Yavin dirigée contre l’Étoile de la Mort. Dans le deuxième épisode, on pointe l’affrontement à Cloud City entre Luke Skywalker et Dark Vador mais aussi la fuite avec Leia et Lando, ce qui nous en fait deux. Dans le troisième, vous aviez l’attaque de la seconde Étoile de la Mort, le conflit sur Endor et un nouvel affrontement entre Skywalker et Vador, ce qui fait trois. Dans le quatrième, il y en avait quatre. Etcetera, etcetera (sourire) . Je crois qu’à un moment donné, il faut être capable de se poser et de dire: bon ok, si on a dix explosions sur un film, on n’en a pas forcément besoin de vingt sur le suivant. Par contre, oui, on a besoin d’en apprendre davantage sur les personnages: qui sont-ils vraiment et à quels nouveaux défis sont-ils confrontés? »

De la théorie à la pratique, il y a parfois un monde, néanmoins, et force est de constater que Les Indestructibles 2 n’échappent pas totalement à l’appétit maximaliste qui domine aujourd’hui l’industrie hollywoodienne. Imaginant une ligue de nouveaux héros en renfort de la famille Parr, eux-mêmes assortis de gadgets et capacités à la singularité diversement inspirée, le film perd quelque chose de l’épure constitutive de l’épisode original. Même s’il convient encore de saluer l’esprit de saine indépendance de Bird: à l’heure où Pixar, Marvel Entertainment et Lucasfilm battent tous les trois pavillons Disney, les rumeurs de possible crossover entre Indestructibles, Avengers et Star Wars vont en effet bon train; ce dont l’intéressé ne veut pas même entendre parler. « Quelle idée exécrable! Je ne comprends même pas que l’on puisse y penser. Chacun fonctionne avec ses codes et c’est très bien comme ça. Si vous commencez à tout mélanger, qu’est-ce que vous allez obtenir? Une bouillasse informe. Ça vous viendrait à l’esprit de verser une sauce au jus de viande sur votre crème glacée? Je veux dire, les deux sont super séparément, mais, franchement, quel serait l’intérêt de les associer? » Timide mais bien réel début de réponse à l’automne avec Les Mondes de Ralph 2, nouvelle suite Disney où l’on croisera brièvement Buzz l’Éclair, des stormtroopers et Iron Man…

Dementia 113

Brad Bird:
© Disney/Pixar

C’est ce qu’on appelle, dans le jargon, un « Easter egg » (littéralement, un « oeuf de Pâques »), une référence cachée à l’intérieur d’un film et qui fonctionne à la manière d’une « private joke ». En l’occurrence, la brève apparition du code A113, soit le nom de la salle de classe de la CalArts, école d’arts privée de la banlieue de Los Angeles, où ont étudié dans les années 70 quelques-unes des plus fines gâchettes du nouvel âge d’or du cinéma d’animation qui allait suivre: Brad Bird, John Lasseter, Tim Burton, Henry Selick et bien d’autres. C’est Bird lui-même qui, le premier, a eu l’idée de placer cet hommage discret dans l’un de ses travaux, à savoir l’épisode Family Dog de la série d’anthologie cornaquée par Steven Spielberg au mitan des années 80, Amazing Stories. Depuis, il n’a jamais cessé de faire furtivement référence à cette salle de classe devenue mythique dans ses réalisations, animées ou non, que l’on parle d’épisodes des Simpsons ou de longs métrages comme Le Géant de fer, Les Indestructibles, Ratatouille, Mission: Impossible – Ghost Protocol et Tomorrowland. Mais la pratique a aussi essaimé bien au-delà, chez d’autres camarades officiant chez Pixar bien sûr (sous forme de numéro de plaque d’immatriculation dans les Toy Story ou Cars, de code de directive dans Wall-E, de graffiti dans Vice-Versa…), mais également ailleurs, au cinéma (The Hunger Games, The Avengers, Sausage Party…) comme à la télévision (Family Guy, South Park, BoJack Horseman…).

Désormais guetté avec un certain amusement, le traditionnel oeuf de Pâques n’apparaît que dans les tout derniers instants des Indestructibles 2, où l’on découvre l’enseigne d’un cinéma annonçant la diffusion d’un long métrage fantasmé du nom de Dementia 113, soit la contraction du code A113 et du titre du premier long métrage officiel de Francis Ford Coppola, le thriller horrifique Dementia 13 (1963), produit à l’époque par Roger Corman. « Figurez-vous qu’il s’agit en fait d’un triple hommage, sourit Bird quand on le lance sur la question. Dans American Graffiti , en 1973, George Lucas faisait déjà un clin d’oeil à Dementia 13 en inscrivant le titre du film sur le fronton d’un cinéma de quartier. Il s’agit donc d’une référence à American Graffiti , faisant lui-même référence à Dementia 13 , qui me permet de saluer les vieux copains de la CalArts. » Un concentré de culture pop en soi.

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