Artistiquement, 2016 fut incontestablement l’année de la femme

Carol de Todd Haynes, la bouleversante histoire d'amour de deux femmes. © DR
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

2016 n’a pas manqué d’héroïnes, réelles ou imaginaires, qui se sont distinguées à travers tous les domaines artistiques. Coup d’oeil dans le rétroviseur.

Féministe, l’année cinéma qui s’achève? Féminine, tout au moins: les héroïnes du quotidien se sont ainsi multipliées sur les écrans, le millésime 2016 s’ouvrant d’éloquente manière sur le sublime duo féminin de Carol, de Todd Haynes, bientôt relayé par Tokue, la vieille dame pleine de sagesse des Délices de Tokyo de Naomi Kawase, et Shu Qi, l’insaisissable The Assassin de Hou Hsiao-hsien. Viendraient ensuite Les Innocentesd’Anne Fontaine ou la mère courage de Room, de Lenny Abrahamson, avant qu’Isabelle Huppert (L’Avenir de Mia Hansen-Love), Julianne Moore (Maggie’s Plan de Rebecca Miller), Astrid Whettnall (La Route d’Istanbul de Rachid Bouchareb) ou Trine Dyrholm (Kollektivet, de Thomas Vinterberg) n’affrontent dans un même élan des vents contraires, Isabelle Huppert, toujours elle, brillant dans le Elle de Paul Verhoeven, au même titre que Kate Beckinsale dans le Love and Friendshipde Whit Stillman. Un concert auquel se joindrait bientôt la Florence Foster Jenkinsde Stephen Frears, La Pazza Gioia de Paolo Virzi y ajoutant un grain de folie. On n’est pas près non plus d’oublier les soeurs d’armes de Voir du pays, des soeurs Coulin, ni Jenny Davin en quête de La Fille inconnue des frères Dardenne, ou encore l’épatante Sonia Braga venue illuminer Aquarius, de Kleber Mendonça Filho. Pour autant, le cinéma reste majoritairement un monde d’hommes, et le festival de Cannes en a apporté une énième illustration, Maren Ade passant à côté de la Palme malgré l’accueil unanime réservé à son Toni Erdmann. Et cela, même si les Katell Quillévéré (Réparer les vivants), Rebecca Zlotowski (Planétarium), Justine Triet (Victoria) ou autre Céline Sciamma (au scénario de Quand on a 17 anset Ma vie de Courgette) témoignent d’un vent féminin soufflant sur le cinéma français avant, qui sait, le monde…

Musique

Le festival de musique Glastonbury a inauguré une zone réservée aux femmes.
Le festival de musique Glastonbury a inauguré une zone réservée aux femmes.© DR

C’est l’un des principaux festivals européens de l’été. Comme chaque année, les têtes d’affiche internationales se sont pressées à Glastonbury, au sud de l’Angleterre: Muse, Adele, Coldplay… comme principaux blockbusters d’une programmation marathon étalée sur cinq jours et 80 zones. Avec une nouveauté: pour la première fois, le festival avait prévu une zone, baptisée Sisterhood, réservée uniquement aux… femmes. Bonne idée? Ou dérive féministe menant à une sorte de sexisme inversé? L’affaire a fait couler beaucoup d’encre de l’autre côté de la Manche. Ce genre d’initiative n’est pourtant pas neuf (les premiers festivals rock « féministes » sont nés il y a plus de quarante ans). Le concept de Sisterhood n’en reste pas moins emblématique d’une industrie musicale qui a toujours du mal à se débarrasser de ses vieux réflexes machistes. Pour une raison très simple: malgré la vitrine girl power de ces dernières années (Beyoncé & co), le business reste largement aux mains des (vieux) mâles (blancs). « L’industrie musicale ou le sexisme branché », titrait encore le magazine Slate en début d’année… Y était notamment relevé l’énorme « succès » du tweet de Jessica Hopper, ex-critique du webzine Pitchfork, qui avait lancé sur le réseau social un appel à témoignages: en quelque 24 heures, elle avait reçu pas moins de 400 réactions…

Littérature

Leïla Slimani, prix Goncourt.
Leïla Slimani, prix Goncourt.© ISOPIX

Aurait-on relevé la coïncidence si quatre hommes s’étaient vus couronnés le même jour? Dans la foulée du Goncourt, attribué le 3 novembre à Leïla Slimani pour Chanson douce, Yasmina Reza gagnait le Renaudot pour Babylone, tandis qu’Aude Lancelin (Le Monde libre) et Stéphanie Janicot (La Mémoire du monde) recevaient respectivement le Renaudot essai et le Renaudot poche. Quatre femmes, donc, pour quatre des plus prestigieux, attendus et commentés prix littéraires d’automne. On peut s’agacer, ou trouver ridicule, que la nouvelle ait fait les gros titres de la presse à l’instar de la plus spectaculaire des breaking news, il n’empêche: la manie des médias à trouver la chose exceptionnelle en dit long sur l’épaisseur du plafond de verre… Où l’on se souvenait soudain qu’être femme continuait à être un signe distinctif en littérature… Les femmes lisent et écrivent, autant si pas plus que les hommes, elles publient des livres de qualité aussi variable que ceux des hommes: comment expliquer la persistance des inégalités dans le milieu littéraire, donc singulièrement dans les modes de sélection et d’attribution des prix qui le gouvernent? Conséquences collantes d’une pénétration tardive dans l’histoire littéraire? Blocage psychologique? 2016 aura-t-elle, à cet égard, marqué un tournant? « Leïla est la 12e femme à être couronnée par le Goncourt en 113 ans », faisait remarquer, en marge de l’attribution du prix, Françoise Chandernagor, l’une des… trois femmes d’un jury de dix membres, avant d’ajouter: « Il reste beaucoup de progrès à faire. » Une pétition ne réclamait-elle pas tout récemment la présence de romancières dans les épreuves du baccalauréat français?

Bande dessinée

Le Féminisme de La Petite Bédéthèque des Savoirs.
Le Féminisme de La Petite Bédéthèque des Savoirs.© DR
Les choses changent peut-être, mais il y a encore du boulot!

S’il est un art où l’essor des femmes et du féminisme s’est particulièrement affirmé cette année, d’une manière inversement proportionnelle au machisme qui y règne, c’est bien le neuvième: la bande dessinée est un mot qui, en 2016, s’est plus que jamais écrit au féminin. La vague a d’abord englouti le festival international d’Angoulême, dès janvier: son jury a provoqué l’ire de toutes et presque tous avec sa longue liste de nominés sans la moindre nominée. Un acte aussi stupide que vexatoire qui a poussé moult auteures au boycott, et surtout à la défense de leur cause, toutes étant désormais réunies au sein du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, lequel ne laisse plus rien passer, des expos caricaturales aux collections genrées, qu’elles dénoncent à présent régulièrement, et avec des résultats: notre Centre belge de la bande dessinée a dû renoncer à son « expo des filles », tandis que la BD dite girly semble doucement mais sûrement s’essouffler voire disparaître – merci mon Dieu.

Cette prise de conscience, qui s’intègre dans une autre, plus vaste, de la précarité générale et galopante des auteurs, pousse de nombreuses auteures à en faire le sujet même de leurs albums: Catel ou Pénélope Bagieu ont ainsi affiché récemment autant leurs revendications que leur talent, respectivement avec Josephine Baker et Culottées! D’autres encore, comme la collection La Petite Bédéthèque des Savoirs, consacrent littéralement un numéro de leur collection au féminisme. On en oublierait presque que l’album de l’année et chef- d’oeuvre absolu, qui n’aborde absolument pas le sujet du féminisme, est lui aussi celui d’une femme: Angoulême ne pourra pas cette fois passer à côté de Catherine Meurisse et de sa Légèreté.

Scènes

Cathy Min Jung a passé avec brio le cap de la deuxième pièce.
Cathy Min Jung a passé avec brio le cap de la deuxième pièce.© CASSANDRE STURBOIS

En 2016, les jeunes auteurs qui ont secoué les scènes étaient des auteures. Avec tout d’abord la Liégeoise Anne-Cécile Vandalem, qui crée des spectacles depuis 2003 mais dont le dernier en date, l’audacieux Tristesses (où elle cumulait l’écriture, la mise en scène et l’interprétation d’un des rôles), a tout emporté sur son passage, en Belgique et ailleurs, y compris au In du festival d’Avignon. Mais il y a eu aussi Cécile Delbecq, qui a frappé fort et juste avec L’Enfant sauvage, seul en scène porté par Thierry Hellin qui se doublait d’un projet social: trouver 200 familles d’accueil pour les enfants en quête d’un foyer. Il faut encore citer Cathy Min Jung, passant avec brio le cap de la deuxième création avec Sing My Life, au croisement du monde de la métallurgie et de celui des télécrochets, Selma Alaoui, adaptant au théâtre le roman de Virginie Despentes Apocalypse bébé, et Babetida Sadjo, se risquant à l’exercice du seul en scène autobiographique. Un signe que les choses changent? Peut-être, mais il y a encore du boulot! L’analyse des saisons 2015-2016 programmées par les théâtres de la Fédération Wallonie-Bruxelles subventionnés à plus de 150.000 euros a livré des résultats consternants (consultables sur www.pauvresimone.be): au total, la proportion des auteures ne dépassait pas les 15% – et se limitait à un pur zéro dans plusieurs cas (le théâtre de la Valette à Ittre, le théâtre Arlequin à Liège, le théâtre royal du Parc et le théâtre des Galeries à Bruxelles) -, alors que celle des metteuses en scène atteignait péniblement 23%. It’s a Man’s World! But it would be nothing without a woman or a girl…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content