Critique | Musique

Charles Lloyd – Quartets

Charles Lloyd © DR
Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

JAZZ | Les cinq premiers CD enregistrés sur ECM par Charles Lloyd, tête d’affiche du Jazz Middelheim ce week-end, font l’objet d’un coffret incontournable.

Charles Lloyd - Quartets

En 1989, avec Fish Out of Water, Charles Lloyd effectuait à la surprise générale un come-back (qui se révélera définitif) après une retraite de près de 20 ans à peine interrompue, entre 1982 et 1983, par le jeune pianiste français Michel Petrucciani, dont l’enthousiasme avait réussi à convaincre le saxophoniste de reprendre la route à ses côtés. Ce retour aux affaires à 51 ans ne manqua pas d’étonner, ne serait-ce que parce qu’il fut orchestré en partie par ECM, label dont les critères esthétiques semblaient, à priori, bien éloignés de la musique du premier Charles Lloyd Quartet, celui qui révéla en 1966 le pianiste Keith Jarrett et le batteur Jack DeJohnette avant de connaître un succès inimaginable auprès du public rock de l’époque. Car bien avant que Miles Davis n’emprunte des chemins similaires, le combo du saxophoniste avait eu les honneurs du Fillmore West (où il côtoya Cream, le Grateful Dead, Jimi Hendrix, Janis Joplin et le Jefferson Airplane) et des grands festivals rock, tout en vendant des disques par milliers à l’image de Forest Flower qui, enregistré en 1966 au Monterey Pop Festival, deviendra l’album le plus populaire de toute l’histoire du jazz avec un million d’exemplaires écoulés. Mais cette réussite fut loin, à l’époque, d’être du goût de tous les amateurs de jazz dont beaucoup ne voyaient dans la musique de Lloyd qu’une version « light » et commerciale de celle de Coltrane. La dissolution du groupe qui suivit le départ de Jarrett, parti rejoindre Miles Davis (où il avait été précédé par DeJohnette), amena le mystique Charles Lloyd à tourner le dos à la scène musicale en 1970 à l’âge de 32 ans -même s’il continua encore à enregistrer des LP confidentiels où il interprétait, à la flûte, des musiques destinées à la méditation.

Lyrisme transcendant

Enregistré en quartette (outre Fish Out of Water, on y retrouve All My Relation, The Call ainsi que nos deux favoris, Notes From Big Sur et Canto) et ne comportant que des compositions du leader, ces cinq albums, désormais réunis au sein d’un coffret spartiate mais essentiel, ont ouvert une nouvelle ère esthétique et spirituelle dans la trajectoire étonnante du saxophoniste ténor, hautboïste et flûtiste dont Manfred Eicher, le fondateur d’ECM, a défini la nouvelle approche (à travers une comparaison avec les sculptures de Giacometti) en ces termes: « All the meat is gone, only the bones remain. » Et effectivement, ces cinq albums flottent au-dessus des genres tout en faisant preuve d’une économie de moyens, d’un esprit de corps et d’un refus des compromis fascinants. Toujours à dominante modale, traversée par l’ange du silence, une touche de blues et des réminiscences ethniques (beaucoup voient en Lloyd le premier « world musicien »), la musique échappe à la sécheresse de sa rigueur grâce à l’irrépressible et transcendant lyrisme d’un leader bien aidé par les magnifiques solo du pianiste Bobo Stenson, le seul de ses « sidemen » à figurer sur tous les enregistrements. Bref, un coffret pour ceux qui ne posséderaient pas encore les disques, absolument incontournables.

CHARLES LLOYD, QUARTETS, ECM 2310-20 (5 CD-SETS), NEW ART INTERNATIONAL.

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