En papier et carton ou en métal, plus ou moins bling-bling, l’emballage des disques s’autorise toutes les folies en cette période de crise. petit tour en rayon.

Avec le passage du vinyle à la cassette, l’artwork avait pris un coup dans l’aile. Une gueule de bois, des migraines, que le CD n’est longtemps pas parvenu à soigner. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ère du digital, de l’immatériel, semble aujourd’hui faire renaître le culte du disque objet. Paradoxal? Pas tant que ça. En 2009, la plupart des consommateurs ne paient plus pour la musique, aisément et gratuitement pompable sur Internet. Ils mettent la main à la poche pour ce qui va avec. Une belle boîte, un imposant livret, une mini BD…

 » A l’arrivée du CD, tout le monde était enthousiaste, se souvient Arnaud Rey, product manager chez Universal. Nous proposions un son incroyable. Un support tout petit, super pratique. 20 ans plus tard, le compact disc dans un bête boîtier plastique commence à avoir vécu. Le CD classique se vend toujours sur la nouveauté, le prix plancher. Cependant, quand il doit débourser 20 euros, le client veut quelque chose de mieux. Quelque chose en plus. »

Il veut du lourd. Au propre comme au figuré.  » Avant, nous confectionnions les éditions de luxe avec du papier et du carton mais nous avons retravaillé tout ce qui est best of en boîtiers métalliques. Le poids élevé du produit a un impact positif sur l’effet en magasin. »

Universal met surtout le paquet sur les greatest hits, les rééditions et les artistes mainstream. Sur ce qui va vendre.  » Un bel objet coûte de l’argent (1). Parfois beaucoup. Que ce soit en matière première (métal, carton…), en confection ou en manutention… Nous ne pouvons pas jeter le pognon par les fenêtres. A fortiori dans la situation actuelle. Nous ne nous lançons donc dans des éditions luxueuses que lorsque nous sommes sûrs d’avoir le public derrière. Le disque objet, c’est un truc de fans. »

Avec des groupes comme Metallica ou U2, Universal est servi. Mais avec ses artistes en développement comme on dit dans le milieu, il opte d’abord pour la version la moins onéreuse. Histoire d’optimiser les marges, de gagner de l’argent pour ensuite enfoncer le clou via le marketing.

Un comportement qu’on constate aussi dans de plus petites structures. Chez Fargo, le premier album d’Alela Diane est plus ou moins rapidement ressorti dans une version cartonnée proche du bouquin. De quoi énerver les plus prompts d’entre nous.

Théoriquement, même quand le CD existe dès le départ en édition de luxe, il sort aussi en version « cheap ». Parce que les grandes surfaces sont demandeuses et veulent pouvoir caser les disques dans les rayons existants. Mais aussi parce que certains acheteurs veulent pouvoir ranger leurs compacts dans des tours.

Vinyle sans platine

Dépourvu de maison de disques, Christophe « Hank Harry » Enclin a sorti son nouvel album Bye-Bye, Dictators! tout seul comme un grand. Ça ne l’a pas empêché d’en faire quelque chose de spécial. D’imaginer un concept original. Son disque ne sort qu’en vinyle (on avoue il y a un CD dans le package) et s’accompagne de 6 pochettes de 45 tours. 12 illustrations du Français Julien Kedryna (2).

 » J’entends les groupes autour de moi. Ils ont de la promo, des affiches. Passent sur Pure FM. Et au final, ils vendent 400 disques. Je ne veux pas me battre dans cette cour-là, explique-t-il . Je préfère me faire plaisir avec le super vinyle. Les illustrations à l’intérieur. Le truc que tu achèterais même s’il n’était pas de toi et si tu n’avais pas de platine. »

En Belgique toujours, Wixel, qui s’est mis en tête d’enregistrer un album par mois pendant un an, fait ses pochettes lui-même à la main avec des cachets. Il ne les sort qu’en édition ultra limitée. Autant de copies que le nombre de jours sur le mois… Le tout uniquement disponible via le Web.

Des tas d’objets, comme l’imposant Box Warp 20, célébrant le 20e anniversaire du label anglais, ne sont également disponibles que sur la Toile… C’est que vendre directement son £uvre, matérielle s’entend, via Internet permet de rentabiliser plus facilement l’investissement. Au revoir les frais de transports inutiles. Fini les marges des distributeurs et vendeurs…

Du plastique au bling-bling

Reste une question de taille. Le vinyle se prête-t-il davantage au bel objet que le CD? L’idée fait débat. Certains continuent de penser que par son format, le 33 tours a davantage d’allure et de classe.  » La banane du Velvet a plus de gueule quand elle fait 25 cm que 5« , image Arnaud Rey d’Universal. D’autres considèrent finalement que chaque support est intéressant.  » L’objet est caractéristique d’une époque« , insiste Fred. Fred est membre d’Unrezt. Un collectif bruxellois adepte des combinaisons musicales et graphiques.  » Nous ne sommes rentrés dans nos frais que sur un seul des 10 disques que nous avons sortis. Vous savez, quand nous en écoulons 200 ou 300 exemplaires, nous sommes contents. Quelques musiciens de notre collectif essaient de gagner leur vie avec la musique mais ce n’est envisageable qu’à travers les concerts. Certains font du sport, collectionnent des timbres. Créer ces objets, c’est notre hobby à nous. Notre bouffée d’air frais. » Unrezt pousse même le bouchon plus loin.  » L’objet intéresse les fétichistes. Pour les MP3, nous avons décidé de créer de fausses pochettes. Au cas où un fou voudrait encore graver un CD. »

Chez le consommateur, c’est quand même parfois la soupe à la grimace. On a toujours craché sur le disque qui visuellement ne ressemblait pas à grand-chose mais on le considère différemment maintenant que les concepteurs se sont vraiment penchés sur sa valorisation.  » Pour le même prix qu’un bête boîtier au début des années 2000, on a maintenant un objet bling-bling, remarque Nicolas . Les maisons de disques redoublent d’ingéniosité pour nous en mettre plein la vue, créer de super emballages et livrets. Elles mettent le doigt là où ça fait mal. Les belles éditions sont souvent des offres limitées. Ça rend l’objet particulier et rare en plus d’être joli. Avec du recul, j’ai un peu le sentiment qu’on nous a pris pour des pigeons pendant des plombes.  »

(1) Pour vous donner une idée, le nouvel album d’Emilie Simon coûte à la production 2 fois plus cher dans sa version de luxe. Ça se répercute sur une augmentation de 3 à 4 euros en magasin. Et pour les ventes, jusqu’ici, c’est du fifty-fifty.

(2) Les pochettes de Hank Harry illustrées par Julien Kedryna sont exposées jusque fin octobre au Veals & Geeks, 8a rue des Grands Carmes, à 1000 Bruxelles.

Texte Julien Broquet

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