« C’est un souvenir à la fois affreux et génial »

© MOBIDIC

Mobidic redessine Mangecoeur – t. 1: La Chrysalide diaprée, par Jean-Baptiste Andreæ et Mathieu Gallié, 1993.

Pourquoi cette couverture vous a-t-elle marquée?

Je pourrais vous dire quel jour on était, quel temps il faisait, comment j’étais habillée, tellement la lecture de cet album a laissé une empreinte sur moi. J’avais quatorze ans, j’ai vu la couverture avec un petit garçon et un chat ailé, j’ai tout de suite eu envie de le lire. Et je me suis retrouvée avec une histoire tellement sombre, sinistre, cruelle… Je l’ai dévorée. Les souvenirs de lecture les plus forts, ce sont souvent des traumatismes. Je crois que c’est la première fois que j’en ai voulu à des auteurs en lisant un album de BD. D’habitude, je lisais sans me poser de questions sur qui l’avait fait, sans même vraiment avoir conscience qu’il y avait des gens derrière. Je croyais à l’histoire et aux personnages, et c’était tout. Et là, j’ai eu le sentiment d’avoir été piégée par des gens. Appâtée avec une gentille couverture, et derrière, une histoire qui me plante un couteau dans le dos. C’est un souvenir à la fois affreux et génial, mais je ne sais pas très bien en quelles proportions!

En quoi a-t-elle eu une influence sur la lectrice et l’autrice que vous êtes?

Pour tout vous dire, je viens d’avoir une révélation… Mon premier album, Roi Ours, tout le monde pense que c’est une histoire pour enfants avant de le lire. Et ça n’est vraiment pas le cas! D’ailleurs, quand les gens en parlent, les mots « conte cruel » reviennent très souvent… Est-ce que j’ai traumatisé des enfants moi aussi? Je m’étais déjà fait cette réflexion, que des gosses avaient dû le lire par erreur, reçu en cadeau de la part d’adultes qui se seraient arrêtés au dessin. Mais je n’avais jamais fait le parallèle avec ma lecture de Mangecoeur, même si je suis quand même beaucoup moins cruelle. Ça fait une éternité que je ne l’ai pas relu. Peut-être y trouverais-je d’autres similitudes avec mon travail si je le relisais maintenant? En tout cas, j’aime beaucoup mélanger les émotions, quand je raconte, et ne pas en annoncer la couleur dès le départ. Passer du rire à l’effroi, aux larmes, au dégoût, à l’espoir… La même émotion tout du long, c’est l’ennui. Par contre, la dernière émotion doit contrebalancer l’avant-dernière! Je ne sais plus exactement comment se termine Mangecoeur, mais j’ai un souvenir de petite note d’espoir qui vient adoucir un peu le reste de l’histoire.

À redessiner ainsi cette couverture de mémoire, pensez-vous en avoir gardé un souvenir précis?

Non! Je me souvenais du gosse, du canon, du chat, et de la nuit. Là-dessus, j’étais à peu près sûre de moi. Le décor, je ne savais plus trop, j’avais un vague souvenir de végétation… Le reste, je l’ai déduit: homme-canon est une activité dangereuse, alors je lui ai donné un casque. C’est une activité de cirque, alors j’ai un peu bariolé le canon… Je vous avoue que pendant que je dessinais, j’ai quand même eu un instant de panique: et si j’étais juste en train de redessiner une scène de l’album, et pas du tout la couverture? Mais j’ai tenu bon, je n’ai pas été vérifier! La surprise, ça a été de me rendre compte que j’avais dessiné l’image à l’envers… Pourtant c’est logique, l’histoire avance de gauche à droite, mais je m’en souvenais dans l’autre sens, je ne sais pas pourquoi.

Dernier album paru de Mobidic: Roi Ours, aux éditions Delcourt.

Chaque semaine, un.e auteur.e redessine et commente -sans la regarder!- la couverture d’un album qui lui est cher.

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