CHAQUE SEMAINE, UN ÉCRIVAIN COMMENTE LA PREMIÈRE PHRASE D’UN DE SES ROMANS

Il sera sans doute le seul homme-orchestre à assumer une triple actu sur les tables de la rentrée littéraire qui se profile, ayant officié comme traducteur sur les derniers livres de Chuck Palahniuk ( Snuff, éditions Sonatine) et Viken Berberian ( Le Cycliste, éditions Diable Vauvert), et comme écrivain à son propre compte pour Tous les diamants du ciel (éditions Actes Sud), son nouveau roman. Des premières phrases, l’£il de passeur de Claro en a caressé des tas, françaises ou américaines. Son souffle d’écrivain en a accroché quelques autres, pesées, musicales, comme autant d’entrées dans une matière sous influences. Rencontre.

La première phrase est-elle déterminante pour toi?

Oui, c’est le premier marquage sur la page, c’est comme un diapason qu’on fait résonner. Elle peut être un tremplin, une pirouette, une fausse entrée. Mais elle est la première chose qu’on place pour ainsi dire dans la bouche du lecteur. Elle détermine, à sa façon, le lien qu’on aimerait que le lecteur entretienne avec la lecture.

Est-ce une phrase tellement plus difficile à capter que les autres?

Elle est complexe à forger, car, comme je l’ai dit, elle est déterminante à sa façon. En même temps, elle ne doit pas non plus être ostentatoire, elle ne doit pas parader, l’air de dire:  » Regardez-moi! Je suis la première phrase. » Ce n’est pas une princesse… C’est sans doute la phrase sur laquelle l’écrivain revient le plus, qu’il retravaille le plus après avoir fini son livre, parce que la fin du livre lui a appris également quelque chose sur le début, sur l’entrée en matière, l’entrée « dans » la matière.

Commences-tu à écrire tes romans par la première phrase? Ou se greffe-t-elle plus tard?

Je commence souvent par une phrase qui risque de devenir la première, j’ai besoin de poser, très simplement et très naïvement, une première pierre. La première phrase joue, dans le processus d’écriture, le rôle d’un ressort. Il faut que cette première phrase s’impose, qu’elle détienne en elle une nécessité dont ce qui va suivre devra s’inspirer.

Pourquoi cette première phrase péremptoire, définitive, pour Tous les diamants du ciel?

Mon précédent roman, CosmoZ, revisitait le conte du Magicien d’Oz en le trempant dans l’acide de l’Histoire du XXe siècle. Je voulais vraiment prendre mes distances avec ça. Dans Tous les diamants du ciel, l’acide -le vrai, le LSD- a tout rongé, et l’Histoire demeure en arrière-plan, pour ainsi dire derrière le rideau. J’avais donc décidé d’écrire « tout autre chose ». Littéralement. Je me suis donc dit que c’était la meilleure façon de commencer le livre: en disant ce que j’allais faire, puis en faisant ce que j’avais dit. Même si, évidemment, le lecteur ne lit pas la phrase de la même façon que moi…

Quel est son rôle à l’échelle du livre?

La phrase se veut ici programmatique. C’est une promesse, un engagement, et dans le même temps c’est encore un mystère, une formule. C’est donc aussi une invitation. En l’occurrence, elle va devenir, ainsi que le lecteur s’en rendra compte, une ritournelle du livre, un peu comme un refrain. Ce n’est donc pas seulement une première phrase mais aussi un motif, un motif rhétorique, certes, mais néanmoins un motif, qui aidera le lecteur à entrer dans la musicalité du tout.

Quelle est la plus incroyable première phrase de roman à laquelle tu as été confronté?

Celle qui m’a vraiment marqué ouvre le roman de Beckett L’innommable:  » Où maintenant? Quand maintenant? Qui maintenant? » Mais sinon je garde un souvenir prégnant de la première phrase d’un livre pour enfants dans lequel un petit ours quitte la maison de sa maîtresse:  » Michka s’en allait dans la neige en tapant des talons. » C’est le plus beau vers de quatorze pieds que je connaisse.

CLARO; PROPOS RECUEILLIS PAR YSALINE PARISIS. – ILLUSTRATION BLEXBOLEX

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content