Caméra au poing : zoom sur la boxe au cinéma

Robert De Niro devient Jake LaMotta pour Scorsese dans Raging Bull en 1980. Comme un taureau sauvage... © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La boxe a passionné l’écran comme aucun autre sport. Du blockbuster à la série B, le ring a vu défiler de nombreux films marquants.

Chaque semaine de l’été, zoom sur un sport extrême vu à travers ses déclinaisons au cinéma.

Combien de scènes ridicules ont déforcé des films se piquant de mettre en images un match de football (même américain) ou une course cycliste! Le sport n’est pas cinégénique par nature, loin de là… La boxe semble toutefois faire exception. Par sa dramaturgie d’abord, par ses règles très simples ensuite, mais aussi et surtout par ses enjeux humains: le combat sur le ring fait écho et parfois même synthèse à la lutte qu’est l’existence humaine, prenant en compte ses dimensions psychologique, sociale et même parfois politique. De Charlot ( The Champion, en 1915) au héros de Creed et Creed 2 (2015 et 2018), la boxe n’a cessé de nourrir l’inspiration de films aussi divers que marquants. Aux États-Unis, surtout, où la popularité de ce sport et son lien au rêve américain d’ascension sociale sont plus forts encore qu’ailleurs.

The Set-up, de Robert Wise en 1949.
The Set-up, de Robert Wise en 1949.

Encaisser les coups

Singulièrement, les héros de films de boxe encaissent bien plus de coups qu’ils n’en donnent. Et au décompte d’un siècle de cinéma dans et autour du ring, c’est souvent les défaites qui s’inscrivent le plus durablement dans la mémoire. Ainsi celle de Rocky dans le film fondateur de la saga bien connue. Il faut voir son visage tuméfié au terme d’un combat qui a vu son adversaire, le champion du monde poids lourds Apollo Creed, conserver son titre au bénéfice d’une décision partagée! Rocky Balboa n’a pas gagné, il en a pris plein la gueule mais il a tenu la distance, montré son courage, fait honneur à la chance qu’il a su saisir et à ses origines de modeste fils d’immigrés italiens. Comme le dit la réplique restée célèbre:  » It ain’t about how hard you can hit, it’s about how hard you can get hit and keep moving forward. » Cruelles images aussi que celles d’un Jake LaMotta martelé par Sugar Ray Robinson lors de sa défaite finale dans le sublime Raging Bull de Scorsese avec Robert De Niro. Pire encore: la vision de la face ensanglantée de Liev Schreiber dans Chuck ( The Bleeder, en 2016), film biographique sur Chuck Wepner, exemple de courage plus que de style et dont la résistance inattendue face à Mohamed Ali, dans un combat disproportionné de 1975, inspira Sylvester Stallone pour le scénario de Rocky.

Encaisser, souffrir mais toujours avancer. Comme Billy Hope (Jake Gyllenhaal) dans Southpaw (2015), un ex-champion devenu veuf et ruiné qui remonte sur le ring pour récupérer la garde de sa fille. Les héros des films de boxe se dévouent très souvent à un proche ou à leur famille, tel Micky Ward interprété par Mark Wahlberg dans Fighter de David O’Russell (en 2010), un boxeur déchu qui surmonte la drogue et la prison pour se racheter sur le ring avec l’aide de son père, de son amie et d’un entraîneur fidèle qui n’ont cessé de croire en lui. Ou tel Andy Purcell, joué par Wallace Beery dans The Champ de King Vidor (en 1931), un ex-champion reprenant du service par amour pour son fils. Ou encore Bill « Stoker » Thompson (Robert Ryan) dans le sombre et bouleversant The Set-Up de Robert Wise (en 1949), où un pugiliste raté et en fin de carrière qui devait « se coucher » lors d’un combat arrangé se rebelle et l’emporte finalement… (à la suite de quoi il sera tabassé par le gangster qui avait truqué la rencontre, et tombera à demi-mort dans les bras de sa femme consciente du prix de cette victoire). L’émotion est aussi grande devant The Harder They Fall de Mark Robson (1956), où la corruption du monde de la boxe se joue d’un géant naïf et fragile, ignorant gagner ses combats grâce à l’achat de ses adversaires et qui se prend une raclée le soir du grand match que son ascension fabriquée a permis d’organiser pour le profit d’escrocs sans scrupule. Humphrey Bogart, miné par la maladie et dont c’est le dernier film, se prête à la sale besogne avant de la dénoncer, complètement dégoûté…

The Champion, de Charlie Chaplin en 1915.
The Champion, de Charlie Chaplin en 1915.

En noir et blanc

Corps et âme. Body and Soul. Le film de Robert Rossen sorti en 1947 donne au très intense John Garfield le rôle d’un boxeur revoyant sa carrière à la suite d’un combat truqué. Portrait d’un enfant du peuple, joué par un acteur très engagé à gauche, et qui sera bientôt victime de la répression maccarthyste traquant les communistes dans l’industrie du film. Une oeuvre marquante, soulignant la dimension sociale d’un sport offrant une illustration concrète de cet ascenseur du même nom et qui serait aujourd’hui, écrit-on souvent, « en panne ». Gants de boxe aux poings, la gloire peut couronner des champions issus de milieux misérables, de l’immigration (italienne, irlandaise, juive d’Europe centrale), et surtout d’une communauté afro-américaine qui aura ses stars dans le ring bien avant de se voir reconnaître pleinement ses droits par une société en proie au racisme. Jack Johnson fut ainsi le premier champion du monde des poids lourds noir, dès 1908. Il apparut dans quelques films dont The Black Thunderbolt en 1922, et Ken Burns lui consacra en 2004 un remarquable documentaire intitulé Unforgivable Blackness: The Rise and Fall of Jack Johnson. « Impardonnable noirceur », trajectoire marquée par le succès mais aussi par la haine, l’exclusion, comme le montre le méconnu The Great White Hope, réalisé en 1970 par Martin Ritt et qui expose tout à la fois les difficultés du couple alors jugé « scandaleux » formé par Johnson et sa petite amie blanche, et les efforts des responsables du monde de la boxe pour dénicher un boxeur blanc qui pourrait provoquer sa chute. La même chose se produira plus tard avec Joe Louis, toujours détenteur aujourd’hui du record du plus long règne dans la même catégorie reine, qu’il domina de 1936 à 1949. La vie de celui qui dut quitter son Alabama natal avec sa famille pour fuir les exactions du Ku-Klux-Klan fit l’objet d’un premier film ( Spirit of Youth) en 1938. La même année, Louis mit KO dès le premier round l’Allemand Max Schmelling, héros sportif du nazisme. Tout un symbole pour celui à qui un documentaire passionnant, The Joe Louis Story, fut consacré en 1953…

Et puis vint Cassius Clay, plus connu sous son nom d’emprunt de Mohamed Ali. Ali le superbe, champion doublé d’un rebelle politique, à qui Michael Mann allait donner les traits de Will Smith dans son biopic de 2001. Et à qui le captivant documentaire When We Were Kings rend aussi hommage en évoquant son combat contre George Foreman à Kinshasa, en 1974. Quand il frappait, ce n’était pas seulement l’adversaire qu’il touchait mais aussi toute une société figée dans ses préjugés, et où beaucoup de Blancs souhaitaient le voir perdre. Son refus de faire son service militaire en pleine guerre du Vietnam lui valut une interdiction de ring pendant trois ans et demi, ainsi qu’une condamnation à cinq ans de prison (qu’il ne pas purgea pas). Mais son aîné Rubin Carter, plus connu sous son surnom Hurricane (« ouragan »), fut lui bel et bien jeté derrière les barreaux, accusé puis condamné pour des meurtres perpétrés en 1966 et qu’il nia toujours avoir commis. Norman Jewison consacra en 1999 un film controversé mais remarquable (avec Denzel Washington) à ce champion des poids moyens devenu cause célèbre et qui fut finalement libéré au terme d’une longue campagne durant laquelle Bob Dylan lui dédia notamment une chanson. On doit finalement à Sylvester Stallone d’avoir envoyé un message réconciliateur en faisant de Rocky et de son adversaire Apollo Creed des amis, en 1982, dans Rocky III. La saga se poursuivant en mode multicolore, jusqu’à aujourd’hui et l’avènement du fils d’Apollo, joué par Michael B. Jordan dans Creed et Creed II.

Autour du ring

La boxe et le cinéma n’ont pas fini d’entretenir des liens étroits. Dans la séquence introductive du Snake Eyes de Brian De Palma (1998), un plan séquence hyper-virtuose de 13 minutes, nous suivons le flic corrompu joué par Nicolas Cage dans la salle où va se dérouler le combat du siècle. Le ring est au centre de tout, même si des coups de feu vont claquer, visant le Secrétaire d’État à la Défense et détournant brutalement l’attention de l’événement sportif. La scène, formellement brillante, éclaire les relations que boxe, cinéma et société entretiennent aux États-Unis plus que nulle part ailleurs. En France, la figure de Marcel Cerdan (présent dans Raging Bull) a bien suscité un film de Claude Lelouch, en 1983, avec le propre fils du champion, Marcel Cerdan Jr dans le rôle de son père. Mais Edith et Marcel s’intéressait plus à ses amours avec Piaf et à sa fin tragique qu’à sa trajectoire sportive. Et si quelques boxeurs français, de Jean-Paul Belmondo à Stéphane Ferrara, sont bien devenus acteurs, c’est outre-Atlantique que tout se passe ou presque. Au féminin aussi, avec le bouleversant Million Dollar Baby de Clint Eastwood ou l’intéressant Girlfight de Karyn Kusama qui révéla Michelle Rodriguez en 2000. Et presque toujours avec coeur, comme le prouvent encore le mélancolique Fat City (1972) de John Huston avec Stacy Keach en boxeur révolu et Jeff Bridges en futur has-been, ou l’attachant Somebody Up There Likes Me (1956) de Robert Wise avec un jeune Paul Newman dans le rôle du champion des poids moyens Rocky Graziano.

Rocky

Rocky
Rocky

Un boxeur de seconde zone saisit la chance de sa vie quand le champion du monde des poids lourds le désigne comme challenger pour offrir une part du rêve américain à un inconnu. Sylvester Stallone crée un personnage de Rocky Balboa qu’il a écrit et dans lequel il a mis beaucoup de lui-même. Tourné en quatre semaines pour un budget dérisoire, le film (réalisé par John G. Avildsen) remportera en 1976 un succès planétaire, ouvrant la voie à une saga populaire que prolonge aujourd’hui la série des Creed.

Raging Bull

Raging Bull
Raging Bull

Martin Scorsese et Robert De Niro poussent leur complicité à incandescence pour cette évocation saisissante du champion Jake LaMotta, surnommé « le Taureau du Bronx », et qui régna sur la catégorie poids moyens au tournant des années 40-50. Le portrait ne masque pas les zones d’ombre, ni le contexte social. Oscar 1980 du meilleur acteur, De Niro crève l’écran. Le noir et blanc sublime la réalisation d’un Scorsese survolté. Du très grand art, pour un film montrant que le combat ne se limite pas au ring mais s’étend à la vie elle-même.

When We Were Kings

When We Were Kings
When We Were Kings

Un documentaire, et quel documentaire! Oscar du genre en 1997, le film de Leon Gast revient sur le « Rumble in the Jungle », le combat très fameux qui opposa Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa, le 30 octobre 1974. Bien plus qu’un affrontement sur le ring, en fait, avec en marge des concerts (James Brown, B.B. King, notamment) et un formidable élan populaire. Le tout sur fond de thématique du retour des Afro-Américains sur le continent d’origine de leurs ancêtres. Captivant de bout en bout!

Million Dollar Baby

Million Dollar Baby
Million Dollar Baby

Une boxeuse inconnue mais très déterminée s’emploie à convaincre un grand entraîneur à la retraite de la coacher. D’abord réticent, il cèdera, ouvrant une page de succès sportifs qui s’achèveront dans la tragédie… Piqué par une formidable Hilary Swank, Clint Eastwood se multiplie devant et derrière la caméra. S’il filme très bien la boxe, il percute aussi par son féminisme et l’audace d’une prise de position pro-euthanasie. Cinq Oscars (en 2005) consacreront une oeuvre vibrante et bouleversante.

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