Laurent Raphaël

Buzz Efira, mode d’emploi

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Cruelle célébrité! Un jour elle vous tend les bras, le lendemain elle vous jette comme un vieux chiffon.

La bourse de la renommée est encore moins prévisible que sa cousine des valeurs marchandes. Pas de main invisible ici pour réguler le marché. Et peu ou pas d’effet de l’offre et de la demande sur ses cours volatils. Car il ne faut pas confondre célébrité et popularité. La popularité est une mesure quantitative, la célébrité y ajoute une dimension qualitative. Vin Diesel est populaire, Martin Scorsese est célèbre. Tout juste peut-on identifier quelques variables susceptibles de précipiter la chute d’une action. Ainsi une vie hors écran un peu trop dissolue, une carrière qui patine méchamment, des choix douteux à répétition, voire tout ça en même temps -n’est-ce pas Monsieur Nicolas Cage?- vous font pâlir une étoile plus vite qu’un trou noir. Avec des exceptions toutefois. Un De Niro pourra faire le cabotin dans des comédies gênantes autant qu’il veut, il bénéficie de l’immunité à vie grâce à ses rôles dans Raging Bull ou Taxi Driver.

Quant aux voies qui mènent au balcon surplombant les marécages de l’anonymat, elles sont encore plus impénétrables. L’actualité nous offre une occasion unique d’étudier un cas de combustion spontanée qui pourra bientôt figurer dans tous les manuels de marketing culturel: le cas Efira. Si l’on demande à McFly et au Doc de nous déposer en 2002, on ne trouvera personne pour parier un bouton de chemise sur la probabilité que cette présentatrice de télé-crochet -les décrochages belges de la Star Academy et de A la recherche de la nouvelle star– se retrouverait un jour adoubée par le tout-Paris. Pas les canards boiteux spécialisés dans le recel de ragots genre Closer, non, les magazines gauche vegan qui font la pluie et le beau temps sur la planète hype -Inrocks en tête qui en ont fait leur couverture il y a quinze jours. Un film, un seul, semble avoir suffi à décloisonner la nouvelle coqueluche de la Rive gauche. Depuis la sortie de Victoria, comédie sentimentale signée Justine Triet explorant « la grandeur et la solitude de la femme moderne », comme le titrait Le Monde, la critique hexagonale n’a plus d’yeux que pour la blonde abonnée jusqu’ici (à quelques entorses près comme le Elle de Paul Verhoeven) à la romance potache, où son pedigree chic et de toc (fruit du métissage du Brabant wallon et de la culture RTL…), tranchait avec le snobisme mastoc des actrices du cru s’aventurant sur ce terrain. Carole Bouquet, même en femme dépressive dans un T-shirt informe, reste Carole Bouquet.

L’emballement mu0026#xE9;diatique pour Virginie Efira, comme si les Franu0026#xE7;ais tentaient de nous refaire le coup de Poelvoorde.

La néo-Française (elle vient d’acquérir la nationalité) est la première étonnée de cet emballement d’une presse qui l’avait royalement ignorée jusqu’ici. Et qui tente de se rattraper en supposant que l’actrice s’est réveillée un matin en se disant « aujourd’hui je passe un cap dans ma carrière, j’arrête de déconner, je vais me mettre au cinéma d’auteur ». Si le travail de Justine Triet mérite assurément qu’on s’y arrête (son premier film, La Bataille de Solférino, était épatant), cet emballement médiatique a quelque chose de suspect. Comme si les Français tentaient de nous refaire le coup de Poelvoorde. On devine aux questions qui lui sont posées que ce qui sidère nos voisins, c’est l’aisance avec laquelle elle jongle entre autodérision, mauvais goût et références solides (elle cite James Stewart, Jacques Demy, Nick Drake), brouillant du même coup les étiquettes habituelles en vigueur dans le microcosme parisien. La présomption de génie « au naturel » (comme on le dit du thon) dont profite encore un peu tout ce qui vient de Belgique a fait le reste.

Comme quoi ce qui est évident et assez banal vu de Bruxelles -ne pas se prendre trop au sérieux, brasser les genres, etc.-, passe pour de l’exotisme ultra tendance vu de Paris. L’envoûtement se prolongera-t-il? Virginie Efira joue gros sur son prochain film… Si on peut lui donner un conseil: un Emmanuel Mouret ou un Arnaud Desplechin, ça devrait le faire. Ou encore mieux, un Audiard ou un Lafosse, pour corser un peu son image, mettre en lumière sa part d’ombre. Là on sera fixé sur son talent.

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